© BELGAIMAGE - DAVID STOCKMAN

Wax-Match: les Diables Noirs rencontrent le Brésil

Bertrand Billi, Louis Debatty, Isaac Montoisy, Kevin et Alan Williams. Ils sont cinq, comme les doigts d’une main, qui portent, au sommet de l’élite belge, le RC Soignies, club le plus représenté chez les Diables Noirs. Entretien avant la réception du Brésil ce samedi, au petit Heysel.

« Les Belges passent à la cire, mais les Brésiliens vont se prendre un savon ! » C’est le slogan choisi par la fédération belge de rugby pour promouvoir son « Wax-Match« . Pour l’occasion, ils sont plusieurs à avoir donné de leur personne. Bertrand Billi le premier. L’entraîneur et troisième ligne de Soignies, 30 ans, descend son bas de survêtement de quelques centimètres et montre le haut de son pubis, qui vient de recevoir la visite d’une épilation à la brésilienne.

Preuve que les Carriers, surnom des Sonégiens, seraient capables de se mettre à poil pour la sélection. Perchés dans le bureau du club, qui surplombe la salle de musculation jouxtant la buvette, Billi, Louis Debatty, Isaac Montoisy, Kevin et Alan Williams, meilleur marqueur de l’histoire des Diables Noirs, reviennent sur leurs aventures de rugbymen amateurs. Ils comptent 30, 24, 19, 31 et 30 printemps et autant d’amour pour un sport qui se développe doucement dans notre pays.

Qu’est-ce que le RC Soignies a de plus que les autres ?

KEVIN WILLIAMS : C’est vraiment un club familial, mais qui reste compétitif. Il y a beaucoup de gars ici qui viennent du cru, ce qui n’existe pas forcément dans les autres clubs. Il y a un vrai fonctionnement pensé pour le long terme.

ALAN WILLIAMS : Il y a un bon groupe, avec des jeunes et des anciens. Dendermonde doit aussi être bien représenté (quatre de ses joueurs ont été sélectionnés pour affronter le Brésil, ndlr). C’est normal, on se tire la bourre en haut du classement. C’est bien, c’est une sorte de récompense, tant pour les clubs que pour les joueurs.

BERTRAND BILLI : Ça fait quatre ans qu’on est dans le haut du tableau, soit en finale, soit dans les play-offs. Les joueurs sont habitués à faire des plus gros matches, progressent plus et sont donc plus amenés à être vus par le sélectionneur. Ça leur donne faim et envie de s’améliorer.

LOUIS DEBATTY : Ça fait quelques années qu’on a une équipe fort jeune. Maintenant, ceux qui ont plus d’expérience, ça reste la même génération, qui est composée par des mecs qui sont encore relativement jeunes. Le niveau augmente chaque année et on répond présent.

ISAAC MONTOISY : Ce qui fait la différence, c’est qu’il y a de très bonnes écoles de jeunes qui se développent, comme au Kituro, à Schaerbeek. Mais là où d’autres se perdent un peu dans la nature à Bruxelles, à Soignies, le président offre aux jeunes un autre challenge que le championnat junior.

Wax-Match: les Diables Noirs rencontrent le Brésil
© http://www.fbrb.be/

« Les couilles et le courage, ça ne suffit plus »

Kevin entraîne les arrières et joue à l’ouverture. Comment ça se fait qu’on trouve encore des entraîneurs-joueurs en D1 belge ?

BILLI : Le rugby n’a pas évolué pendant longtemps. Avant, c’était un sport chiant. Ça se résumait à des grosses cocottes (des mêlées ouvertes, ndlr) et des bagarres (des châtaignes, ndlr). Dans le monde entier, mais surtout en Belgique. C’est un sport de transmission, tu donnes ce que t’as reçu. Donc si t’as reçu de la merde, tu vas pas rendre des roses. Des mecs dans le coup, qui essayent de s’intéresser à la science du sport, ne serait-ce qu’aux échauffements, c’est très rare. Il y a très peu d’entraîneurs qui sont formés, ou même simplement en phase avec un rugby plus actuel. Il y en a beaucoup qui pensent que des couilles et du courage, ça suffit. Mais tu sais très bien que, contre une équipe organisée, tu te fais casser la gueule. En gros, les vieux font un truc de vieux. Et le rugby en Belgique, c’est un sport où très peu de jeunes restent après 23 ans. Deux bières, une femme et ils arrêtent.

MONTOISY : Le rugby belge s’est quand même révolutionné plus vite ces dernières années. Ceux qui ont commencé le rugby plus tard sont un peu dépassés. À un moment donné, il y a eu un engouement général, peut-être avec la Coupe du Monde 2007 (en France, ndlr). Même si j’étais encore petit, j’ai vu une certaine amélioration.

A. WILLIAMS : Il y a eu quelques résultats de l’équipe nationale qui ont dû aider et donner envie aux jeunes de se mettre au rugby. Je pense qu’on est tombés dans la bonne période. Quand on était gamins, ce n’était pas du tout pareil. Tout fait ça, que ce soit le Top 14 (l’élite française, ndlr) ou la médiatisation en générale.

C’est quoi le quotidien d’un rugbyman amateur ?

DEBATTY : Je me sens un peu plus pro qu’il y a quelques années, même si on en est encore loin. Ici, à notre niveau, ça reste amateur donc on ne se prive pas d’une petite bière en semaine. Mais quand je suis arrivé – il y a six, sept ans -, il y avait encore quelques vieux briscards et ça ne dérangeait personne de se mettre une race monumentale le samedi, de picoler jusqu’au dimanche matin avant un match. Là, dans le groupe, on sent bien que c’est sérieux. On sent que le niveau monte, que c’est plus exigeant.

BILLI : Le temps consacré au rugby et au sport, hors entraînement, a augmenté. On est devenu des sportifs avant d’être des rugbymen.

DEBATTY : L’aspect physique a pris une dimension énorme. Quand je suis arrivé en seniors, je faisais trente kilos de moins qu’aujourd’hui. Ça ne me dérangeait pas tant que ça.

K. WILLIAMS : Tu es un animal. (Rires)

« Toutes les équipes nationales ont leur dotation, sauf nous »

Vous sentez vraiment qu’il y a plus d’engouement autour du rugby en Belgique ?

BILLI : J’ai l’impression que la connaissance générale a changé. Quand j’étais jeune et que je disais que je jouais au rugby, on me demandait si j’étais quarterback… Aujourd’hui, on a 12.000 licenciés, il y a des top-clubs qui sont des grosses machines, avec 500 membres derrière.

K. WILLIAMS : À Soignies, il y a un peu de public, c’est bien. En équipe nationale, il y a de plus en plus de monde. Mais on galère encore, on n’a toujours pas le bon nombre de shorts et de chaussettes. Tu te retrouves à te battre pour avoir un short à ta taille, si t’as la chance de pas choper un triple XL…

A. WILLIAMS : Et là, on parle seulement des shorts et des chaussettes. Les survêts et les sacs, ça n’existe même pas.

BILLI : En mai, on jouait contre le Portugal pour se sauver (match de barrage remporté 29-18, pour rester dans le Six Nations B, ndlr). Un match important. On s’est retrouvés dans une auberge de jeunesse d’un club d’aviron, à Gand. Un truc pourri, avec des espèces de faux moustiques au plafond. On était trente là-dedans, quatre par chambre…

K. WILLIAMS : On a fini par gagner alors qu’en face, le Portugal s’entraînait depuis deux mois pour nous battre et remonter dans le Six Nations B. Mais c’est toujours compliqué, rien que quand tu arrives face à une autre équipe nationale, qui a tout ce qu’il faut. Même inconsciemment, tu te fais respecter juste pour ça. Nous, on dirait des Pink Floyd. C’est le sommet de l’amateurisme.

MONTOISY : Après ma première sélection, en mars, j’ai enchaîné avec l’équipe nationale à VII. Là, c’est pareil. Toutes les équipes ont leur dotation, même la Lituanie, sauf nous. On arrive aux repas, les autres se demandent si on est des joueurs ou des gars qui sont là en vacances…

(Bertrand Billi se lève pour faire baisser d’un ton les joueurs qui poussent la fonte, gentiment : « Les gars, fermez vraiment vos gueules, sérieusement ! »)

(Rires)

Bertrand Billi (au centre) cumule les casquettes d'entraîneur et de troisième ligne chez les Carriers.
Bertrand Billi (au centre) cumule les casquettes d’entraîneur et de troisième ligne chez les Carriers.© BELGAIMAGE – DAVID STOCKMAN

« En rugby, dès que tu dépasses l’Autriche, c’est l’aventure »

Vos voyages ont l’air assez périlleux. Notamment dans l’Est…

A. WILLIAMS : Normalement, en Ukraine, on joue en Crimée. La dernière fois, avec la guerre, on n’a pas pu. On a perdu en toute fin de match et on avait dû s’entraîner dans un parc. Quand on jouait en Crimée, il y avait des militaires autour du terrain. C’était assez tendu.

K. WILLIAMS : À Kiev, je me rappelle d’une balade dans un parc, où l’un de nos joueurs, qui est black, se faisait cracher dessus par des gamins. C’était chaud, c’était des sales racistes.

BILLI : Dès que tu passes l’Autriche, c’est l’aventure. On peut raconter une anecdote sur chaque pays qu’on a visité, surtout dans l’Est : Ukraine, Pologne, Moldavie…

A. WILLIAMS : (Il coupe) En Moldavie, ils dégelaient le terrain au chalumeau ! (rires) C’est pas une blague. C’était le pire match de ma vie. Ils ont dégelé une petite partie, l’arbitre vient, il dit : « C’est bon, on peut jouer« . Et c’est parti… En Géorgie, ils mettaient du sable rouge pour tracer les lignes…

K. WILLIAMS : Là-bas, le président arrive avec son gros 4×4, il sort la vodka, il met des biftons à ses joueurs, tranquille. En Ukraine, le président de la fédé a même stoppé un avion pour nous. C’était un genre de gros mafieux, avec chevalières et lunettes de soleil. On était à la bourre, on faisait Crimée-Kiev. Il a appelé la compagnie, l’aéroport, ils ont bloqué l’avion pendant une heure et demie. Les mecs de la compagnie ont pété un câble.

BILLI : C’est pour ça qu’il y a toujours eu une excellente ambiance en équipe nationale. Parce qu’il n’y a que des mecs qui ont dû faire des sacrifices pour être là. Ça n’a jamais été rémunérateur, il faut négocier avec son patron des congés sans solde, des jours avant et après pour pouvoir partir. Il faut vraiment vouloir venir, ce n’est pas une obligation.

Sur les 26 Diables sélectionnés, 9 évoluent en France. Les expatriés diminuent mais sont toujours bien là. L’étranger est devenu un passage obligé pour développer le rugby belge ?

MONTOISY : Si on prend l’exemple du football belge, qui marche bien, la solution, c’est peut-être d’envoyer les meilleurs jeunes à l’étranger. Mais il ne faut pas partir pour partir, il faut que ça soit bien encadré et financé. Moi, j’ai quelques contacts et j’y pense. C’est le rêve et l’objectif de chaque jeune joueur impliqué dans le rugby.

DEBATTY : Ce n’est pas forcément un passage obligé. Il y a cette mode de se barrer en France dès qu’on est à peu près bon en Belgique. Si ça peut faire augmenter le niveau de l’équipe nationale belge, pourquoi pas ? Ici, à Soignies, on doit avoir le niveau d’une bonne fédérale 2, voire fédérale 1 (la troisième division française, ndlr). Si c’est pour aller jouer en fédérale 3, il n’y a pas de grand intérêt. Augmenter le niveau, oui, mais pas à n’importe quel prix. Si les bons joueurs belges restent ici, le championnat va aussi se développer et augmenter son niveau. Et ce ne serait pas une mauvaise chose.

L’affaire du non-match

Début 2015, il y a cette « affaire du non-match », où vous prenez un 356-3 au Kituro. Un record…

LOUIS DEBATTY : Ça a tourné mondialement, beaucoup de gens sont au courant (il sourit). On commence à s’échauffer, on nous explique qu’il n’y a pas d’arbitre. Il avait reçu un mail disant que le match était annulé mais il y a eu contre-ordre et il avait coupé son portable. Nous, on décide d’aller se rhabiller, on prend notre douche. Finalement, on nous dit qu’un arbitre sera là une heure plus tard.

BERTRAND BILLI : On voulait bien retarder de quinze, vingt minutes, mais pas plus. On a des mecs qui bossent derrière. Les deux seuls arbitres qualifiés, c’était notre coach et le leur. En D1, au top niveau, ça aurait été compliqué. Mais, ce qu’on ne savait pas, c’est que dans ces cas-là, il y a une règle de la fédé qui stipule que les deux capitaines doivent pointer, ensemble, au hasard, un mec dans le public pour arbitrer. C’est écrit noir sur blanc. Ça peut être n’importe qui, même le picolo du coin…

Comment vous vous retrouvez sur le terrain, mais sans jouer ?

BILLI : Quand l’autre arbitre arrive, j’avais une bière en main. On ne voulait toujours pas jouer, ni commencer un match à l’heure où il devait se terminer. Il m’a dit que si on voulait porter plainte, il valait mieux jouer. On a fait un vote dans le vestiaire et une petite majorité ne voulait pas jouer. Donc on est arrivé sur le terrain, en pull, et on n’a pas bougé, pendant deux fois quarante minutes. C’était long.

DEBATTY : En face, il n’y en avait que trois qui jouaient et qui marquaient les essais. Les autres nous comprenaient. On avait honte de monter sur le terrain, rien que pour l’image qu’on allait renvoyer. On avait envie de se cacher, de s’enfuir sous terre. C’était les deux mi-temps les plus longues de ma vie.

BILLI : Finalement, les deux équipes ont été déclarées forfaits parce qu’on n’a pas respecté le règlement. Et on a quand même réussi à marquer trois points, sur un drop venu de nulle part, suite à une pénalité. Mais sinon, il ne faut pas croire, ça se passe bien en Belgique.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire