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Usain Bolt, déjà une légende

Avec 18 millions d’euros de gains annuels, le Jamaïquain écrase le monde de l’athlétisme.

« Si je suis un champion, c’est parce que je sais être sérieux quand il le faut. Je récupère moins vite qu’au début de ma carrière mais cela ne veut pas dire que je décline. J’ai toujours envie de battre mes records du monde. Si je ne parviens pas à faire tomber celui du 100 mètres d’ici la fin de ma carrière, ce n’est pas grave mais j’aimerais vraiment aller encore plus vite sur 200. Ce serait fabuleux et je m’en sens capable. »

Juste avant d’entrer en scène lors de ces Mondiaux, Usain Bolt avait planté une dernière fois le décor. Comme s’il avait besoin de rappeler qui il est ! Dimanche dernier, le Jamaïquain a écrit une page de plus de sa légende en remportant le 100 mètres à Moscou, un titre qu’il avait perdu, on s’en souvient, deux ans plus tôt à Daegu à cause de son retentissant faux départ. La pluie et les éclairs ne l’ont pas dérangé car, juste avant le départ, il fit encore mine d’avoir sorti son parapluie. S’il s’impose également ce week-end sur 200 et 4×100, cela lui fera huit titres mondiaux, soit autant que Carl Lewis. « L’Américain est le seul athlète, avant lui, à avoir eu une telle aura », explique Wilfried Meert, le patron du Mémorial Van Damme. « Mais aujourd’hui, tout est beaucoup plus médiatisé. Du coup, Usain Bolt est devenu plus grand que son sport. Il fait partie des cinq sportifs les plus connus de la planète. » Le Caribéen vit à présent seul sur sa planète. Aucun autre athlète ne lui arrive à la cheville. « Bolt est le seul nom que le grand public connaît », lance Norman Peart, son bras droit et ami d’enfance. En Jamaïque, cela fait longtemps qu’il ne peut plus se promener comme il veut. « Seul Bob Marley a fait parler autant de notre île à l’étranger », poursuit-il. « Usain est devenu une star mondiale et cela lui plaît. Il s’est accommodé de son statut et peut même en jouer quand il en a envie. »

Une aubaine pour l’athlétisme

Bolt a fait entrer l’athlétisme dans une autre dimension. Mais il a d’abord sauvé son sport alors que celui-ci souffrait des retombées du dopage et de l’affaire BALCO. « Il a été une aubaine pour nous car il changé tous les codes de notre sport », confirme Meert. C’est que Lightning Bolt a amené une incroyable fraîcheur dans les stades. « On est là pour s’amuser et le public aussi », répète-t-il. « Il faut être relax. Nous ne sommes pas là pour stresser ou se faire des grimaces. » Depuis qu’il est là, la plupart des sprinters, jadis habitués à se défier comme des boxeurs avant un combat et rouler des mécaniques avec un regard noir, se sont pris au jeu. Ils imitent la star et font les pitres. « Mais il est le seul qui a cette incroyable capacité à rester cool jusqu’à la dernière seconde », assure son homme d’affaires. « Arriver à demeurer concentré tout en faisant rire le public le rend unique », enchaîne Meert. Personne n’arrive comme lui à demander aux spectateurs, euphoriques quand ils le voient, de se taire quand le moment est venu de prendre le départ d’une finale mondiale ou olympique. Pour tout cela, Usain Bolt n’appartient plus à son sport. Il est l’athlétisme. « Il l’écrase littéralement », tranche Meert. « Les autres athlètes éprouvent des grandes difficultés à se faire une place dans son immense ombre. Ils existent dans leurs pays respectifs mais il est le seul que tout le monde veut voir. »

Fidèles à ses attaches

Pour s’offrir la star, il faut désormais délier les cordons de la bourse. Depuis son avènement aux Jeux olympiques 2008, ses gains ont presque été multipliés par dix. Aujourd’hui, il est, selon le magazine spécialisé Forbes, le quarantième sportif le plus riche du monde avec quelque 18 millions d’euros de gains annuels. Il y a peu encore, personne n’aurait imaginé qu’un athlète puisse gagner autant d’argent. Pour l’avoir, l’organisateur d’un meeting doit payer 300.000 dollars, soit 250.000 euros. Et les journalistes qui parviennent à interviewer le dieu de Trelawny, d’où il est originaire, se souviennent toute leur vie de ce moment. « On aurait besoin d’avoir dix Usain Bolt pour satisfaire toutes les demandes d’interviews », lance franchement Ricky Simms, son agent. Il se dit, par exemple, que le Jamaïquain a accordé vingt entretiens les deux jours qui ont suivi le meeting de Londres, fin juillet. « A raison de quinze minutes par journaliste, faites le compte d’heures passées à parler ! » glisse malicieusement Norman Peart. Il fait partie de la douzaine de personnes qui travaillent à temps plein pour la star. Sans compter toutes celles qui s’en occupent chez Puma. L’équipementier a eu le nez fin en mettant le grappin sur Bolt il y a dix ans. A l’époque, il venait d’être champion du monde chez les Juniors. Il n’était encore qu’une promesse de son sport car il avait conquis ce titre chez lui, à Kingston. Aujourd’hui, l’équipementier bénéficie de manière incroyable de chaque succès de l’homme le plus rapide du monde. Certes, Puma débourse quelque 7 millions d’euros par an, sans compter les primes liées à ses victoires, mais le Caribéen n’oublie pas le geste fait par son sponsor quand il n’était qu’un adolescent. Il a d’ailleurs la réputation de rester fidèle à ses attaches. Ce sont, à quelques exceptions près, les mêmes personnes et partenaires qui l’accompagnent depuis son plus jeune âge. « Vous savez, Usain est déjà une légende », poursuit Peart, son ami d’enfance. « Il mérite vraiment tout ce qu’il gagne. »

« Je pense même que, par rapport à sa popularité, il n’est pas encore au niveau financier où il devrait être », ajoute Meert. « Vous vous rendez compte que des joueurs de football américain ou des golfeurs dont le grand public est incapable de citer le nom perçoivent plus d’argent que lui ? »

Dans 30 ans

En attendant, l’homme le plus rapide du monde touche plus d’argent par le biais de ses partenaires financiers que par celui de ses performances sur les pistes. Il ne perçoit, par exemple, pas de salaire de son club et de la fédération jamaïquaine. Son entourage confirme que c’est pourtant à son sport qu’il pense avant tout. « Il y a des périodes, dans l’année, où il refuse toute sollicitation », confirme Peart. « D’avril à juin, notamment. Car quand Usain a décidé de s’entraîner, il n’est pas question de le déranger. »
« Je sais que si je me blesse de temps en temps, c’est parce que je profite parfois un peu trop de la vie », reconnaît le sextuple champion olympique, qui sait qu’il laissera une trace immense dans l’histoire du sport en général. « Il fait partie de ceux qui ont transformé leur sport », assène encore Peart. « Moi, je le compare à Mohammed Ali. C’est quelqu’un avec une très forte personnalité que tous les autres ont cherché à imiter sans y parvenir. » Pourtant, celui qui gère ses intérêts depuis onze ans assure que Bolt a bien changé au fil du temps. « Il a toujours aimé s’amuser et faire la fête mais il était quand même plus réservé avant. Au fil du temps et des victoires, il a acquis une grande confiance. Maintenant, il gère lui-même toute la pression qu’il a sur les épaules. Je suis sûr que dans trente ans, on parlera encore de lui. »

Trente ans, c’est peut-être aussi le temps qu’il faudra pour retrouver un athlète avec une telle force économique et un aussi grand charisme.

Par David Lehaire à Moscou

USAIN EN CHIFFRES

80.000
LE NOMBRE DE TWEETS ENVOYÉS EN VINGT SECONDES, SOIT PENDANT LA FINALE DU 200 MÈTRES D’USAIN BOLT LORS DES JO 2012. AUCUN AUTRE SPORTIF N’A SUSCITÉ AUTANT DE TWEETS EN AUSSI PEU DE TEMPS.

2.904.920
LE NOMBRE DE PERSONNES QUI LE SUIVENT SUR SON COMPTE TWITTER. AVANT LES JO DE LONDRES, ILS N’ÉTAIENT ENCORE « QUE » 635.896.

45 km/h
C’EST LA VITESSE ATTEINTE PAR BOLT ENTRE LES 60 ET 80 MÈTRES DANS LA COURSE OÙ IL SIGNA LE RECORD DU MONDE DU 100 MÈTRES (9.58). PAR MOMENTS, L’AMPLITUDE DE SA FOULÉE ÉTAIT DE… 2,80 MÈTRES.

48
LE NOMBRE DE DEMANDES QUOTIDIENNES (!) D’INTERVIEWS FAITES À SON ATTACHÉE DE PRESSE, CAROLE BECKFORD, DANS LES DEUX MOIS QUI ONT PRÉCÉDÉ CES MONDIAUX.

1,4
LA DIFFÉRENCE EN CENTIMÈTRE ENTRE SA JAMBE DROITE, PLUS COURTE, ET SA JAMBE GAUCHE. CELA S’EXPLIQUE PAR UNE SCOLIOSE QUI LUI PROVOQUE UN DÉSÉQUILIBRE DU BASSIN.

18
C’EST EN MILLIONS D’EUROS LE TOTAL DE SES GAINS ANNUELS. CE QUI EN FAIT LE 40E SPORTIF LE MIEUX PAYÉ DE LA PLANÈTE.

250
C’EST EN MILLIONS D’EUROS CE QU’A GAGNÉ PUMA, SON ÉQUIPEMENTIER, LORSQUE BOLT A MONTRÉ SES SPIKES DEVANT LES CAMÉRAS AU SOIR DE SA VICTOIRE DANS LE 100 MÈTRES DES JO DE PÉKIN EN 2008

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