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Patinage et troubles alimentaires: la fin d’un tabou

A Sotchi, la patineuse Yulia Lipnitskaia, 15 ans, avait le monde à ses pieds. Quatre ans plus tard, la Russe est bien loin des épreuves des Jeux de Pyeongchang, souffrant d’anorexie et déjà retraitée.

A peine sortie de l’enfance, la petite fée du patinage russe avait enchanté les téléspectateurs du monde entier en remportant l’or dans l’épreuve par équipes des JO-2014, ce qui lui avait valu les félicitations en personne du président Vladimir Poutine venu l’étreindre au bord de la patinoire. Mais il y a six mois, à la surprise générale, elle a annoncé souffrir d’anorexie et qu’elle mettait fin à sa carrière.

Malgré plusieurs cas connus, la question des troubles alimentaires dans le patinage artistique reste un sujet tabou, dont il est difficile d’évaluer l’étendue.

– Timidité, anxiété et dépression –

Une concurrente des Jeux de Pyeongchang a osé prendre la parole sur le sujet. La Canadienne Gabrielle Daleman a raconté il y a plusieurs mois avoir souffert de troubles alimentaires liés au harcèlement qu’elle a subi à l’école et qui a aussi provoqué chez elle un problème d’apprentissage, similaire à la dyslexie.

Gabrielle Daleman aux JO d'hiver 2018.
Gabrielle Daleman aux JO d’hiver 2018.© ISOPIX

Après sa septième place du programme court de mercredi, la patineuse de 20 ans a déclaré à l’AFP: « Je ne sais pas si ça vient du sport ou du regard que les gens portent sur eux-mêmes. Moi j’étais malheureuse de la façon dont on me regardait. J’essayais de ressembler à ce que les gens attendaient de moi, plutôt que d’essayer de me sentir bien. C’est quelque chose sur lequel j’ai travaillé cette année », a-t-elle ajouté.

Après sa prise de parole, Daleman a reçu une avalanche de soutiens de la part d’autres patineuses. « Beaucoup sont venues me voir pour me remercier d’avoir partagé mon histoire parce que peu de gens en parlent ouvertement », a-t-elle souligné.

Parmi celles qui l’ont remerciée, Gracie Gold, médaillée de bronze par équipes à Sotchi en 2014, a dû déclarer forfait pour la saison olympique en raison de troubles alimentaires et de problèmes de dépression et d’anxiété. « Ça m’attriste beaucoup, mais je sais que c’est un mal pour un bien », avait réagi l’Américaine de 22 ans.

En 2005, des troubles alimentaires avaient aussi poussé sa compatriote Jenny Kirk à mettre fin à sa carrière juste avant les Jeux de Turin.

Cela a donc été aussi le cas pour Lipnitskaia. Après un séjour dans une clinique en Israël, elle a donc pris la décision d’arrêter sa carrière prometteuse à seulement 19 ans.

Julia Lipnitskaya à Sotchi, 2014.
Julia Lipnitskaya à Sotchi, 2014.© ISOPIX

Dans une interview à la Fédération russe de patinage, la patineuse au talent précoce a raconté avec beaucoup de franchise comment la célébrité avait été difficile à gérer en raison de sa grande timidité. « Depuis que je suis petite, j’ai toujours été très introvertie. Parler à des inconnus me demandait beaucoup d’efforts », a-t-elle expliqué. « L’anorexie, c’est une maladie plutôt courante. Malheureusement, tout le monde n’arrive pas à la surmonter. »

Sa prise en charge par des psychologues lui a permis « de revoir (s)es priorités ».

– ‘Je n’ai pas honte’ –

« Quand je suis sortie de la clinique, je me suis sentie obligée d’arrêter. Je paniquais à cause de l’incertitude. J’ai discuté avec ma mère et on a décidé de commencer une nouvelle vie », a-t-elle raconté. « Ça a été très dur de prendre la décision d’arrêter. »

Le patinage est un sport éprouvant pour le corps de patineuses souvent très jeunes et en phase de puberté, qui enchaînent des heures et des heures d’entraînements répétitifs, de sauts et de pirouettes, avec les projecteurs des médias braqués sur certaines mais pas d’autres, dans un sport où l’image joue un rôle crucial.

Interrogée sur la question, la Fédération internationale de patinage a transmis à l’AFP son guide médical. « Un programme éducatif et interactif sur les sujets de la santé, de la nutrition ou des blessures » est fourni aux patineurs et entraîneurs, indique ce guide. « Un programme dédié à la santé des athlètes féminines est également disponible pour informer les jeunes femmes sur les problématiques qui leur sont spécifiques. »

« Tout ce qui affecte la santé des athlètes est pris très sérieusement par la Commission médicale » de la Fédération, est-il ajouté.

Gabrielle Daleman
Gabrielle Daleman © ISOPIX

Gabrielle Daleman, elle, ressent une énorme fierté à s’exprimer publiquement sur la question et à avoir réussi à participer à ses deuxièmes Jeux olympiques. « Je n’ai pas honte. Je suis fière d’avoir surmonté ces difficultés et je suis très heureuse d’être là et de ce que j’ai réussi à faire. »

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