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NBA vs Trump

Donald Trump s’est brouillé avec les sportifs noirs. Ainsi qu’avec la plus grande star de la NBA. À la rencontre de Stephen Curry dans le vestiaire.

Une demi-heure après le match contre Denver, Stephen Curry, un simple essuie noué autour de la taille, sandales aux pieds, est dans le vestiaire des Golden State Warriors. Il vient de prendre une longue douche. Le vestiaire se vide petit à petit. La plupart des joueurs ne pensent qu’à rentrer. Le lendemain, un vol de 14 heures vers la Chine attend la meilleure équipe de basket du monde. Les joueurs détestent ces voyages purement commerciaux.

Stephen Curry est une des plus grandes stars de NBA et sans doute le basketteur le plus doué depuis MichaelJordan. Il est également un des principaux adversaires du président Donald Trump.  » Nous disposons ici d’une gigantesque plate-forme, d’une voix formidable que nous devons utiliser « , explique Curry.  » Nous devons attirer l’attention sur tout ce qui ne va pas dans le pays avec ce président.  »

La bagarre a débuté en septembre. Curry a déclaré qu’il voterait  » non  » à l’invitation de la Maison Blanche si le vestiaire procédait à un vote, compte tenu de ce que son hôte infligeait à son pays. La tradition veut que le président des USA reçoive les principales équipes championnes. Curry s’est exprimé comme il joue : sans effort, presque avec indifférence.

Il a pourtant tellement offensé Trump que celui-ci a retiré son invitation aux Warriors via Twitter. Le président, qui attache énormément d’importance au soutien des soldats et des sportifs, a coupé les ponts avant que l’équipe ne puisse le faire. C’est ainsi que Steve Kerr, l’entraîneur, a en tout cas présenté les choses.

Me too

La guerre des paroles bat son plein depuis un moment entre Trump et les sportifs professionnels américains. Colin Kaepernick, le quarterback des San Francisco 49ers, a allumé la mèche l’année passée en s’agenouillant pendant l’hymne américain, pour protester contre la violence policière et l’inégalité dont sont victimes les Noirs aux USA. De plus en plus de joueurs se sont joints à lui.

La vague s’est étendue à d’autres sports, parmi lesquels le basket. Durant un meeting en Alabama, une de ces réunions dont il raffole, même quand il n’y a pas d’enjeu électoral, Trump s’en est pris aux footballeurs noirs qui refusent de se tenir debout pendant l’hymne, joué avant chaque match. Trump a indirectement visé Kaepernick, qui avait perdu son boulot.

Trump a misé à fond là-dessus, hurlant :  » Ne seriez-vous pas heureux que les propriétaires d’équipes NFL disent, quand quelqu’un ne respecte pas notre drapeau : – Virez-moi ces fils de putes et sur le champ ! Il est viré ! Il est viiiré ! « 

Cette déclaration a un autre relent, celui du racisme. Les propriétaires des équipes de football américain sont quasi tous blancs, comme la plupart des spectateurs. Seuls les athlètes sont majoritairement afro-américains. Les propriétaires blancs doivent donc renvoyer les acteurs noirs qui ne se tiennent pas bien pour la paix de l’âme des spectateurs blancs, patriotes.

Par hasard, sans même avoir pris connaissance des propos de Trump, Stephen Curry a fait part de sa répugnance à se rendre à la Maison Blanche. C’est quasi prophétique. S’il avait entendu Curry, ce samedi matin, au moment où le président se sent apparemment le plus vulnérable, il aurait envoyé son tweet sur le champ et ainsi déclaré la guerre à un autre sportif afro-américain.

Locker-room

Curry piquant.
Curry piquant.© CHINAFOTOPRESS/MAXPPP

Fin septembre, à l’occasion de la première apparition publique des Warriors après l’éclat de Trump, l’Arena d’Oakland est comble alors qu’il ne s’agit que d’un match de préparation. Les champions se sont inclinés 108-102 face aux Denver Nuggets. Curry a marqué 11 points alors que la saison passée, il en inscrivait en moyenne 25,3.

Curry est seul face à son armoire en bois. Il enfile un slip de son sponsor avant de se faufiler dans un jean coûteux, déchiré de partout comme il se doit. Nul ne lui adresse la parole. Pourtant, Curry a la réputation d’être le joueur le plus gentil de NBA.

Quel meilleur endroit pour parler de Trump que le vestiaire, le locker-room, une pièce rendue célèbre par le président lui-même quand il a déclaré en public qu’il était normal, entre hommes, pendant une discussion de vestiaire, de se raconter les meilleurs trucs pour peloter une femme.

Comment allez-vous, Monsieur Curry ?

STEPHEN CURRY : Vous me demandez ça parce qu’on a perdu ?

Non, à cause de votre dispute avec Donald Trump. Parce que le président vous a attaqué personnellement et que vous n’êtes pas le bienvenu à la Maison Blanche.

CURRY : C’est surréaliste, non ? Le président pense donc devoir s’en prendre à des individus. Il ne fait pas honneur à son mandat. Un chef d’État ne se comporte pas comme ça.

Pourquoi ne vouliez-vous pas aller à la Maison Blanche ?

CURRY : Je suis attentivement le comportement du président. Il ne cesse de piétiner les valeurs américaines. Je ne voulais pas être mêlé à ça. C’est une question de point de vue personnel. Quand on m’a interrogé, c’est ce que j’ai dit. Mais je ne parle que pour moi.

De fait.

CURRY : Non, il ne s’agit pas de moi. Sinon, l’affaire serait passée sans faire de foin. Nous formons une équipe. On va se réunir pour discuter de ça, de la façon dont on veut représenter les Warriors et de la manière dont chacun de mes collègues vit la situation. C’est ça qui compte.

Antistar

En sortant du vestiaire, ses coéquipiers opinent du chef en entendant ses propos. Curry semble presque fragile parmi tous ces colosses. Kevin Durant, une autre star de l’équipe, mesure 2m06, le Géorgien Zaza Pachulia fait 2m11. Curry, lui, mesure 1m90 et pèse 86 kilos. Il a plutôt la stature d’un gardien de football.

Curry est d’ailleurs une star très inhabituelle du basket. Contrairement à ses prédécesseurs sur le trône de NBA, LeBron James ou Kobe Bryant, il n’arbore pas de grands tatouages et il ne mène pas non plus la vie d’une star du rap.

Stephen, Steph en abrégé, a 29 ans. Il pose avec sa femme et ses enfants à la une du magazine Parents. Il n’a pas appris à jouer dans la cour d’un quartier dangereux mais avec son père, lui-même joueur de NBA. Jusqu’à présent, Curry ne s’est jamais fait remarquer par un comportement provocateur ou rebelle.

Vous vous êtes rarement mêlé de politique jusqu’à présent. Pourquoi ?

CURRY : En effet, jusqu’à maintenant, j’ai tout au plus joué quelques fois au golf avec le président Obama. C’est tout. Puis, ce fameux samedi, j’ai reçu une vingtaine de messages de soutien et de congratulations, sans savoir de quoi il s’agissait. J’ai consulté Twitter et découvert cette merde.

Vous êtes-vous énervé ?

CURRY : Non. C’était l’occasion de dire ce que je pense. Maintenant, toute la ligue fait front. Les joueurs mais aussi les entraîneurs.

En quoi Trump vous dérange-t-il ?

CURRY : Franchement, presque dans tout ce qu’il fait. Mais la façon dont il a parlé des joueurs de NFL qui protestent pacifiquement et qui n’ont en rien manqué de respect aux vétérans de guerre, au drapeau ou à l’hymne… Il est allé très loin, presque au point de menacer les joueurs et leur emploi.

Contrairement à la ligue de basket, celle de football américain est traditionnellement étroitement liée aux forces armées américaines. Les soldats préfèrent le football au basket, il y a des organisations communes. Certains supporters de football américain ont donc été enclins à penser que ceux qui s’asseyent ou s’agenouillent pendant l’hymne manquent de respect à la nation et aux soldats qui risquent leur vie pour leur drapeau.

Pensez-vous que le président a renforcé dans leur opinion les gens qui estiment qu’en s’agenouillant pendant l’hymne, les joueurs insultent la nation ?

CURRY : On parle de la fonction présidentielle. Ça concerne une foule de gens, indépendamment de leur orientation politique. Il s’agit de respect, d’honneur, d’individualisme, de droit à l’opinion. Les réactions de la ligue ont été incroyables.

You bum

Stephen Curry est pote avec Barack Obama. Mais nettement moins avec son successeur, Donald Trump.
Stephen Curry est pote avec Barack Obama. Mais nettement moins avec son successeur, Donald Trump.© reuters

LeBron James, des Cleveland Cavaliers, est de ceux qui ont pris la défense de Curry en public. C’est surprenant, puisque Curry l’a détrôné. Depuis trois ans, la NBA vit de leurs duels : le jeune et impertinent Curry contre le vieux roi fatigué qui rassemble ses ultimes forces. L’un se produit pour une équipe d’Oakland, près de San Francisco, équipe qui appartient à des investisseurs de la Silicon Valley, l’autre pour une formation de Cleveland, une ville de métallos.

LeBron James, caparaçonné par son statut de légende, a donc twitté à Trump qu’il était un  » bum « , soit un clodo : Curry avait dit depuis longtemps qu’il ne viendrait pas et il était donc ridicule de lui retirer l’invitation. Ajoutant qu’une invitation à la Maison Blanche était un honneur jusqu’à ce qu’il y ait emménagé.

CURRY : You bum ! J’ai bien ri. La dernière fois que j’ai entendu cette expression, c’était de la bouche de joueurs de rue. L’expression revenait sans arrêt et elle était plutôt dure.

Curry répète le mot, cette fois à son accompagnateur. Toi, bum, viens, nous devons y aller. Les catacombes de l’Oracle Arena se sont vidées, il est tard et dehors, le parking est désert.

En Chine, dans un match contre les Minnesota Timberwolves, Stephen Curry marque 40 points en l’espace d’une demi-heure. Il est libéré.

Par Philipp Oehmke – Der Spiegel

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