Laurent Raphaël

London Calling J-29: Rire ou courir, faut-il choisir?

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Plus qu’un mois avant le Virgin Money London Marathon: l’occasion d’une neuvième entrée au carnet de bord de notre marathonien en chef, Laurent Raphaël. L’humour, un bâton dans les jambes du coureur?

Cou-rire pour le plaisir

London Calling J-29: Rire ou courir, faut-il choisir?

Vous l’aurez sans doute remarqué ici ou ailleurs: la course à pied, singulièrement dans ses déclinaisons ultra, c’est du sérieux. Même chez les amateurs, il n’est question que de performance, de compétition, de souffrance, de régimes, d’objectifs… A croire que l’humour est un bâton dans les jambes du coureur. Pas faux à première vue: dans les magazines spécialisés comme dans la bouche des adeptes de ce culte doloriste, on croise rarement des vannes et des éclats de rire.

Réduire le coureur à une machine programmée pour se dépasser qui n’attirerait que des tristes sires serait toutefois aller un peu vite en besogne. Certes l’obsession n’est pas ici un vilain défaut mais plutôt une qualité voire carrément une assurance-vie. Pour comprendre d’où vient ce purisme qui peut passer pour de l’arrogance, il faut descendre dans la cave de l’inconscient. L’appréhension de la mort est comme un spectre perché en permanence sur l’épaule du sportif (j’en parlais en long et en large dans l’épisode 7 de mes aventures). Or quand on a peur, qu’on doute, qu’on s’attend à souffrir, qu’on craint même d’y rester, le clapet de la rigolade reste verrouillé. Trouille, même à petite dose, et humour font rarement bon ménage.

Ce qui ne veut pas dire qu’il n’a pas sa place, mais seulement une fois que le peloton des compétiteurs dans l’âme est passé. En témoignent les marathons à forte dose de folklore (et d’alcool) comme le marathon du Médoc (hips) ou la présence récurrente de gugusses déguisés sur la ligne de départ (dans le guide pratique du marathon de Londres, il est d’ailleurs conseillé à ceux qui envisagent de courir sous une épaisse couche de fourrure de tester leur déguisement avant, lol).

« Le marathon le plus long du monde »© capture d’écran www.marathondumedoc.com

Pour décoincer les zygomatiques, pas besoin de se rendre chez l’ostéo. On peut simplement se plonger dans le Dictionnaire absurde du footing et du marathon (éditions Prolongations) de Gérard Ejnès, « journaliste pavé de bonnes sensations« . Un petit abécédaire carburant à l’autodérision et au calembour publié en 2013 qui agit comme un décontractant musculaire sur les points de fixation du runner. Son truc: tremper le vocabulaire et les rituels que chérissent les coureurs, de Abandon à Yard, dans un bain de non-sens et de loufoquerie qui en révèle l’absurdité, ou en tout cas en relativise la portée existentielle. Une ordonnance gentiment moqueuse à garder sous la main pour les jours sans. Ou mieux, pour le jour où on attrape la grosse tête (symptômes: refuser d’aller au cinéma le soir parce qu’on a besoin de ses 12 heures de sommeil, ne plus toucher un verre d’alcool, même six mois avant une course, etc.).

Morceaux choisis au hasard des définitions qui sont à chaque fois accompagnées d’un exemple évidemment inventé de toutes pièces:

Le nutritionniste? « Un médecin qui s’engraisse sur le dos des pauvres coureurs à pied qu’il dégraisse. »

Ampoule? « Petite lumière qui s’allume sous le pied du joggeur pour lui indiquer qu’il n’a pas choisi la bonne marque de chaussettes.« 

Opium? « L’opium des coureurs à pied est la course à pied. Certains d’entre eux sont tellement drogués que leur famille est obligée de les faire interner dans des hôpitaux aux chambres minuscules pour qu’ils ne soient pas tentés d’en faire le tour en petites foulées au cas où ils s’extrairaient de leur camisole de force. »

Mental? « Bouée de sauvetage du coureur longue distance qui lui permet de se maintenir à flot quand il a la désagréable impression de brasser des idées noires.« 

Après cet intermède, retour aux choses sérieuses avec les conseils santé de Body Talk. Cette semaine, le point sur les bienfaits (ou non) des entraînements brefs à haute intensité, aussi appelés intervalles ou fractionnés. A lire ici.

Travaux pratiques

Bref rappel des faits: la semaine dernière, mon compteur affichait déjà une belle série de sorties longues taquinant les 26km. De bon augure à un mois du marathon mais il manquait encore la brique de 30km pour parachever le travail, histoire de me rassurer sur ma condition et de tester la machine dans les conditions presque réelles. Car 26 km c’est pas mal mais c’est encore loin de 42, d’autant qu’un mur (de lamentation) se dresse sur le passage…

Mission accomplie depuis dimanche! Sur ma lancée, j’ai même poussé jusqu’à 31,5 malgré un 14km sur piste bien tassée (4 x 3000 mètres en 5’30 », 5′, 4’30 » et 4′) la veille. A la sensation douce du devoir accompli s’est ajoutée la satisfaction de ne pas avoir dû taper dans les réserves. A une (bonne) moyenne de 4’53 » du kilomètre et sur un tracé pourtant vallonné (moitié dans la forêt de Soignes et les écrins romantiques de l’arboretum de Tervuren, moitié sur le bitume du Bois de la Cambre, pour un dénivelé positif total de 500 mètres, soit bien plus que ce que je devrai affronter à Londres), je n’ai a aucun moment ressenti le coup de barre qui coupe les jambes et fait disjoncter le circuit électrique. Les muscles ont pistonné sans geindre et le coeur a récité sa partition sans fausse note, autour de 145 bpm de moyenne. Allegro ma non troppo.

Il y a bien eu des moments un peu plus creux comme toujours sur une plage étendue de 2h30 mais globalement rien d’inquiétant. L’acide de l’ennui n’a pas eu le temps de ronger les câbles mentaux, notamment grâce à la présence à mes côtés durant les 17 premiers kilomètres de mon voisin néo-marathonien comme moi. J’ai pu vérifier encore une fois cette loi universelle: le temps passe deux fois plus vite quand il est « partagé », même si le plaisir solitaire a aussi son charme. Sa compagnie a été comme une rampe de lancement qui m’a propulsé vers l’objectif ambitieux du jour.

Laurent Raphaël
Laurent Raphaël© Daniel Raphaël

Cette répétition générale m’a permis de valider mes ambitions chronométriques (autour de 3h15) et de peaufiner un autre point important, essentiel même: le ravitaillement en vol. Tout le monde sait qu’il faut bien s’hydrater pendant un effort intense (avec 2% de liquide en moins dans le corps, on s’ampute de 20% de ses capacités physiques…) mais boire de l’eau ne suffit pas sur une épreuve d’endurance extrême. Déjà il faut préparer le terrain avant avec une alimentation adaptée les jours précédents (on y reviendra en détails dans deux semaines) mais il faut aussi prévoir du carburant pendant la course, sachant que les réservoirs musculaires d’origine sont trop petits pour transporter tout le glycogène (la version compacte des glucides) nécessaire. Il faudra donc impérativement faire régulièrement l’appoint en sucres, sels minéraux, acides aminés, etc.

Le schéma classique préconise d’alterner eau et boisson isotonique tout au long du trajet, à combiner avec un aliment à haute valeur énergétique toutes les heures. Perso, je laisse de côté tout ce qui est solide comme les bananes ou les biscuits. Mon estomac n’aime pas être dérangé quand ça secoue autour de lui. Faute d’alternative plus gastronomique, je me rabats sur les infâmes gels que l’on trouve désormais partout, goût citron, fruits rouges ou menthe, dans les magasins de sport mais aussi dans les grandes surfaces. Comme par le passé j’ai déjà eu droit à la révolte des mollets, j’ajoute à ce régime un gel antioxydant à mi-parcours. Et je prévois aussi un gel « coup de fouet » pour m’aider à gravir le mur des 30 bornes. Si je résume, j’embarquerai donc dans mes soutes 5 tubes (3 gels classiques, un gel dynamite et un gel antioxydant). Pour le liquide, je composerai avec ce que propose l’organisation.

Quand la drôle d’idée de courir un marathon a germé dans mon esprit il y a plus ou moins un an, je croyais encore naïvement qu’on pouvait se passer de cette cuisine de haute précision. Je considérais ces compléments alimentaires prometteurs de beaux jours comme une forme de dopage déguisé. Petits tubes ou gros pots de protéines pour adeptes de la gonflette, c’était un peu du pareil au même. D’autant que tous ces produits sont présentés sur les mêmes rayons. Et puis à force de lire les témoignages sur les forums en ligne et de m’informer sur les sites de spécialistes (nutritionnistes ou entraîneurs), j’ai vite compris que le succès (terminer la course, de préférence debout) se cache dans les détails comme l’alimentation ou la tenue vestimentaire. On peut gâcher la fête à cause d’une fringale ou d’une paire de chaussettes de qualité médiocre.

Avaler le gros morceau sportif est une chose, le digérer en est une autre. Sorti sans encombre de l’épreuve de force du week-end, je me demandais comment mes jambes et ma tête allaient manifester leur désapprobation dans les heures et les jours suivants. J’ai pu cocher la case « récupération ok » sur ma feuille de route. Contrairement à la semaine précédente, marquée par un état nauséeux passager, l’atterrissage s’est fait en douceur. J’ai bien senti quelques picotements dans les guiboles lors de la séance de décrassage du mardi mais dès jeudi, le cours normal des émissions pouvait reprendre, avec une série balèze de 10 x 1’30 » à 95% de ma fréquence cardiaque maximale (FCM).

D’ici la fin de la période d’entraînement hardcore, soit deux semaines, je vais surtout m’attacher à consolider l’échafaudage. Inutile à ce stade de commencer à innover ou de corser l’addition dans l’espoir de grappiller quelques secondes. Si je peux maintenir la même cadence infernale, ce qui implique de franchir encore deux cols à 30 km, j’aurai rempli la première partie du contrat. Plus que deux semaines à tenir donc. C’est peu mais largement assez pour se blesser ou tomber malade; le risque de se dégonfler s’éloignant quant à lui à mesure que la date fatidique approche. Raison de plus pour garder une certaine distance avec tout ça, ne pas en faire une affaire trop personnelle même si, et c’est le piège évidemment, on se prend vite au jeu de l’implication totale. Certains jours, j’ai d’ailleurs l’impression de me préparer pour les Jeux Olympiques, ce qui peut avoir un côté pathétique à mon âge et au vu de mes modestes chronos. Mais pourquoi pas au fond. Chaque athlète amateur ne court-il pas une finale à son niveau contre le plus coriace des adversaires: lui-même? Et puis tester ses limites, jauger sa capacité à endurer le pire, à tenir ses engagements, c’est aussi une manière d’éprouver son humanité.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire