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El Ouafi emporté par les flots de l’Histoire

Premier Maghrébin champion olympique en remportant le marathon d’Amsterdam des Jeux 1928, sous les couleurs françaises, l’Algérien Boughera El Ouafi a quitté la scène violemment, tué par une volée de balles, dans la banlieue parisienne, après un long et lent déclin.

El Ouafi, un précurseur d’Alain Mimoum, Français lui aussi natif d’Algérie, et champion olympique des 42,195 km en 1956 à Melbourne. Emu par la misère de son prédécesseur et frère d’armes, Mimoum demanda d’ailleurs que Boughera soit présent lors de la réception en son honneur au Palais de l’Elysée.

Comme le légendaire Ethiopien Abebe Bikila, premier vainqueur d’Afrique noire d’un marathon olympique, à Rome en 1960, sans chaussures, Boughera courait lui aussi pieds nus à ses débuts. Un exemple comme tant d’autres de la vie exceptionnelle de cet athlète chétif, doté d’une résistance exceptionnelle révélée à l’armée. Une vraie vie de roman, où l’imagination supplée la réalité des faits, jusqu’à son identité.

Comme le rappelle une de ses descendantes indirectes, le médaillé d’or d’Amsterdam ne s’appelait pas Boughera El Ouafi mais El Ouafi (son prénom) Boughuera (son patronyme). Comme l’indique sa tombe au cimetière musulman de Bobigny (Seine-Saint-Denis), avec seulement les mentions de ses années de naissance et de décès (1903-1959). Problème: les biographies indiquent qu’il serait né le 15 octobre 1898, près de Biskra, aux portes du Sahara !

Bête de cirque

Sa mort par balles, celles du FLN selon certains, le 18 octobre 1959 à Saint-Denis, en banlieue parisienne, dans des circonstances jamais complètement élucidées, est venue rappeler son statut: traître pour les nationalistes algériens, paria pour les Français.

Au temps de la jeunesse, la vie d’El Ouafi, passé par la case armée avec les tirailleurs, était rythmée par ses foulées, petites et énergiques, et cadencée par les chaînes de montage de Renault à l’Île Seguin.

Septième du marathon des Jeux de Paris, en 1924, El Ouafi avait affronté l’épreuve d’Amsterdam avec précaution, laissant aux favoris la folie d’un rythme effréné.

Pointé autour de la 20e place au 10e km, le bonhomme avait ensuite ramassé « les morts » pour finalement rejoindre et dépasser les deux premiers tout à la fin.

C’était une époque où le marathon était vécu et perçu comme une aventure extrême. L’épreuve fascinait et le petit ouvrier fut happé par les sirènes d’outre-Atlantique, s’affichant au Madison Square Garden de New York, avant d’être pris dans les rets d’un patron de cirque américain pour courir contre des hommes et des animaux.

Au retour, le réveil est brutal. Disqualifié pour professionnalisme par le Comité national olympique et la Fédération française d’athlétisme, El Ouafi commence sa course vers l’oubli et l’impécuniosité.

« J’ai été ballot d’accepter de traverser l’Atlantique (…) mais je ne sais pas si vous vous rendez compte de ce que ça représentait pour moi, un manoeuvre des usines Renault, d’aller en Amérique ! C’est beau, vous savez, l’Amérique. (…) J’ai mis les quelques sous que je possédais dans un fonds de commerce, un café. Mais je suis un balourd, mon associé m’a escroqué », expliquait-il en 1956 à un journaliste. Comme une épitaphe…

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