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Lionel Messi, l’enfant lune

Qu’y a-t-il derrière les buts, les records, les Ballons d’or et les sourires Unicef de Lionel Messi ? Une vie de solitaire, de l’intérêt pour rien et des siestes interminables. Enquête dans le cerveau du prodige.

Miguel Martinez est réparateur de machines à sous. Le métier étant peu considéré, il a longtemps arrondi ses fins de mois en faisant la doublure sur des tournages de pub. Il faut dire que la nature l’a gâté d’un drôle d’attribut : Miguel est le sosie de Lionel Messi. Même taille modeste, même implantation capillaire filasse, même visage de belette apeurée.

« Messi n’aime pas les caméras. Généralement il se fait seulement filmer le visage, puis il rentre chez lui. C’est là que j’interviens », explique Martinez, avant d’enfoncer fièrement le clou : « Les scènes de foot que l’on voit sur les images, c’est moi qui m’en chargeait pour lui. » Problème : Lionel Messi, le vrai, a fini par se lasser de Miguel Martinez. Le couperet est tombé en 2011. « Son entourage a jugé que je lui faisais de l’ombre. Son frère, Rodrigo, est venu me dire que j’étais devenu trop populaire. A partir de là, les annonceurs n’avaient plus vraiment le choix : c’était le joueur ou sa copie… » Ce que regrette surtout Miguel, c’est que la star ne soit pas venue le congédier personnellement et le reconnaisse à peine quand il le voit. « Récemment, je l’ai croisé dans la rue. Quand je l’ai salué, il m’a répondu en regardant ses baskets et en pressant le pas. »

Ce qui amène à se poser une drôle de question : mais qui est donc ce type effrayé par son propre reflet ? Réponse : un homme qui dort. Beaucoup. Trop. Quasiment douze heures par jour, siestes incluses. Une léthargie qui avait inquiété jusqu’à ses éducateurs au Barça, lesquels avaient pointé, dans un rapport interne de 2002, qu’il était « le joueur le moins investi dans les séances d’entraînement. Il a correctement fait ce qui lui était demandé, mais toujours à l’ombre de ses partenaires, et sans montrer la moindre initiative personnelle ». Lionel Messi « écrase » depuis qu’il s’est mis à suivre, enfant, le fameux traitement hormonal qui a fait sa légende. Dormir lui permettait alors de régénérer ses cellules pour gagner des centimètres. Le souci, c’est que, depuis, c’est comme s’il ne s’était jamais réveillé. « Si tu ne le sors pas du lit, les matchs peuvent commencer sans lui », lance Fernando Signorini, l’ancien préparateur physique de la sélection argentine. « Il est heureux quand il dort. Mais dès que tu lui demandes de sortir, ça l’ennuie. Même une balade, ça le fatigue », se désole Marisol, sa demi-soeur.

Lors du Mondial 2010, Javier Mascherano avait lui aussi fait l’expérience du peu d’intérêt de « Leo » pour les choses qui, d’ordinaire, intéressent le reste des humains. Le milieu défensif avait conseillé à son attaquant El Cartel de los sapos, une série colombienne en forme d’immersion dans l’univers des narcos. Messi n’avait pas donné suite. A la place, il avait opté pour Lost. Avant de décrocher au bout de quelques épisodes. L’Argentin jugeait « ennuyeuse » la série la plus prenante de tous les temps. Guère surprenant de la part d’un type qui n’était déjà pas allé au bout de l’évasion de Prison Break car « l’histoire était trop compliquée à comprendre ».

Lionel a aussi toujours connu le monde du silence. Monica Domina, son institutrice à l’école de Las Heras, le quartier de Rosario d’où le crack est originaire, a été la première à s’alerter du mutisme maladif de « La Puce » : « J’avais des graves problèmes de communication avec lui. Au point qu’il avait une amie, une voisine, qui lui servait d’interprète. Quand il voulait dire quelque chose, c’est par elle qu’il passait. Il était tellement timide que j’avais conseillé à ses parents de l’emmener voir un pédopsychiatre. »

A l’école Leon XIII, un établissement partenaire du Barça, Messi devient un casse-tête pour Maribel Pascual, sa professeure principale : « Il avait un bon fond mais il était très timide. Surtout, les études ne l’intéressaient pas. J’essayais beaucoup de parler avec lui, mais il n’y avait rien à faire : ce n’était pas son truc », tranche aujourd’hui celle qui avait, à son tour, conseillé à son entourage de faire suivre son élève par un psychologue. Ruben Bonastre, ancien professeur d’informatique à La Masia, n’a pas eu plus de succès dans ses tentatives. « En classe il était là sans être là, se souvient-il. C’était d’autant plus frustrant que ses entraîneurs me disaient des merveilles à son sujet. Ça m’interpellait. Comment était-il possible qu’il prenne autant d’initiatives sur le terrain et si peu en dehors ? »

En Espagne, Lionel Messi vit à Castelldefels, à 25 kilomètres de Barcelone. La villa est située dans une petite impasse à l’abri des regards indiscrets. Un asile doré face à la mer que le prodige délaisse uniquement pour aller s’entraîner et promener son boxer, Facha, sur la plage du coin. Sur le chemin du retour, il s’arrête parfois à La Pampa, un restaurant argentin où il récupère son escalope milanaise accompagnée de purée. Son menu préféré. Le fait est qu’en Catalogne, la superstar n’a pas d’autres amis que ses collègues de travail et passe le plus clair de son temps avec sa famille à parler boulot. Et de Rosario.

« Messi joue à Barcelone mais vit à Rosario, confirme Leonardo Faccio, auteur de la meilleure biographie du footballeur. Quand il ne joue pas, il est toujours connecté à l’Argentine via Internet ou téléphone. D’ailleurs, il dit toujours qu’il retournera à Rosario une fois que tout sera fini. » Le joueur a toujours refusé de vendre la maison familiale où il a fait ses premiers pas. Pourtant, à Rosario aussi, Lionel Messi, qui a fait ses classes foot au Newell’s Old Boys, est un homme seul. Eusebio, le grand-père du crack, tient une minuscule boulangerie dans le quartier. « Comment s’appelle le village où il est parti déjà ? Ah oui, Barcelone ! On ne lui demande rien vous savez, les petits sous qu’il gagne là-bas, qu’il se les mette de côté. Tout ce qu’on aimerait, c’est le voir d’avantage. Avant, on s’appelait assez régulièrement, mais il n’était intéressé que par la balle ; de nous, il s’en fichait un peu. »

La vérité, c’est qu’à Rosario, le cas Messi divise autant que la rivalité historique entre Newell’s et Rosario Central. Le mobilier urbain entourant la maison natale de Lionel a d’ailleurs été repeint en bleu et jaune par les ultras de Rosario Central. Un message plus coloré que la baffe envoyée par un adolescent à Messi en juin 2011 à la sortie d’un restaurant. Mais tout aussi clair : à Rosario, là où le stade de Newell’s porte le nom de Marcelo Bielsa et où un joueur de Central, Aldo Poy, rejoue chaque 19 décembre devant des centaines de supporters un but marqué en 1971, le quadruple Ballon d’or n’est pas le meilleur joueur du monde. Il n’est personne.

Régulièrement, Messi s’entête pourtant à revenir dans le seul endroit du monde où il ne fait pas l’unanimité. « Il vient une semaine par an pour faire tout ce qu’il ne fait pas pendant l’année. Voir des gens, s’amuser. Vivre… », tente d’expliquer Juan Pablo Rastafari Leguizamon, l’actuel gardien de Cordoba, un pote d’enfance. Pour essayer de rattraper le temps perdu, Messi retrouve Leguizamon, Lucas Scaglia et Negro Benitez. Ensemble, les compères de la génération 87 de Newell’s achètent de la viande, du charbon et du vin et font claquer les moteurs jusqu’à Roldan, à une trentaine de minutes de Rosario, où les parents de Lucas ont une maison avec barbecue et terrain de foot.

Le week-end, le quatuor sort au Madamme, la plus grande boîte d’Amérique du Sud. Des instants fugaces de bonheur et de camaraderie devenus de plus en plus rares. Le reste du temps, Messi le passe à Arroyo Seco, ville luxueuse à 30 kilomètres au sud de Rosario. Pour Leo, c’est un enfer. Enfermé dans sa prison dorée ultrasécurisée avec piscine et accès direct à la plage du coin, il n’y voit personne. Et tourne en rond. Comme à Barcelone. « J’ai ma maison, ma famille, tout, mais je m’ennuie parce que je ne fais rien. Du coup, je passe mon temps à dormir », souffle le joueur.

Disney, Danone et McDonald’s

« Il a changé le modèle du héros manichéen, philosophe Leonardo Faccio. Pendant longtemps le football a été une histoire de charisme. Beckham, Zidane, Maradona étaient des super-héros de comics pleins d’allure et de prestance. Messi, lui, est comme ces personnages de Disney, fragile et valeureux à la fois. Ça le rend plutôt touchant, spécialement pour le public juvénile. » C’est en partie grâce à ce personnage qu’aujourd’hui, le footballeur gagne chaque année 10,5 millions d’euros de salaire et 21 autres millions d’euros de revenus publicitaires. « On a regardé les sept grandes marques liées à la Fifa (la Fédération internationale de football), puis on a commencé à démarcher celles qui touchaient un public de jeunes entre 10 et 22 ans, notre coeur de cible. Pour des marques grand public comme McDonald’s ou Danone, Messi est un produit d’image d’excellente qualité », sourit Rodolfo Schinocca, ex-agent du joueur.

Le coup de génie de Jorge Messi (son père) et Schinocca est d’avoir réussi à vendre le meilleur joueur du monde avant même qu’il soit titulaire dans la moindre équipe. Le père et l’agent s’inspirent en 2004 du storytelling utilisé par les publicitaires américains pour vendre du Michael Jordan partout. Pour Nike, le plus grand joueur de basketball de tous les temps aurait un jour été recalé par une équipe de collège après avoir été jugé trop petit. Jorge et Rodolfo reprennent la formule miracle à leur compte et écrivent à deux mains le scénario d’un blockbuster hollywoodien : celui d’un jeune surdoué du football, souffrant d’un déficit hormonal, obligé de quitter son milieu modeste et son pays pour devenir le meilleur joueur de l’histoire dans le plus grand club du monde.

Un conte qui laisse quelques larmes au coin des yeux de la grande carcasse de Fabian Soldini, l’agent qui a ramené Messi au Barça et dont le rôle a été coupé au montage. « Le père ne veut pas reconnaître la vraie histoire. Et il veut t’obliger à raconter sa version. » Derrière le mythe, il y aurait en effet une autre histoire, qui parle d’opportunisme, de pression familiale et d’ascension sociale.

A la source du mensonge

On est en 2001. Jorge est ouvrier à Acindar, une aciérie qui appartient à Lakshmi Mittal. Avec sa femme Celia, qui fait des ménages à mi-temps, il a quatre enfants, Rodrigo, Matias, Marisol et, donc, Lionel. A l’époque, le couple ne roule pas sur l’or. Convaincu du potentiel de son fils, Jorge décide de jouer à la roulette russe. Il appelle Fabian Soldini, agent bodybuildé au crâne rasé. « A ce moment-là, il y avait un gamin de Newell’s, Leandro De Petris, qui était parti au Milan, entame Soldini. Jorge a dit : « Si De Petris peut aller au Milan, mon fils peut aller n’importe où. Je veux qu’il aille faire un test à l’étranger. » »

Soldini active ses contacts et, le 17 septembre 2000, Leo s’envole pour Barcelone. Sur place, le père s’époumone pour convaincre le Barça de faire signer son fils le plus rapidement possible. Problème : si Messi a simulé une vilaine fièvre pour partir en Europe, il appartient toujours, contractuellement, à Newell’s. « La situation était compliquée, clarifie Soldini. On ne pouvait pas le sortir du club autrement qu’avec la « patria potestad », un droit qu’exercent le père et la mère pour amener leur enfant où ils veulent s’ils déménagent. » En bon père de famille, Jorge prend les choses en main. Il attrape son flingue, le colle sur la tempe de la famille, ferme les yeux et appuie sur la gâchette. « Jorge a tout misé sur l’avenir de Leo », résume Soldini. Nestor Rozin, alors président du football amateur de Newell’s, confirme : « Le père a démissionné d’Acindar, a touché une indemnisation et est allé vivre en Espagne. »

Au passage, Jorge s’arrange avec l’histoire. Plutôt que de s’étendre sur son coup de poker, il préfère parler du prix du traitement de son fils. Souffrant d’une insuffisance hormonale qui l’empêche de grandir, Lionel doit en effet s’injecter de la Norditropine, une hormone de synthèse qu’on extrayait autrefois des cadavres. Cela coûte cher, environ 1 000 dollars par mois. « Tout le monde dit que le traitement s’est fait en Espagne, mais c’est un mensonge, proteste Nestor Rozin. Lionel a commencé le traitement en Argentine, en 1997. Je suis bien placé pour le savoir : c’est moi qui l’ai accompagné chez le médecin. » Le docteur en question, Diego Schwarstein, confirme. « Leo a commencé le traitement quand il avait déjà 10 ans. Il prenait des hormones de croissance, une fois par jour, par application cutanée. Il a dû faire entre 8 et 12 mois de traitement à Barcelone, pas plus, et trois ans et demi ici. »

Début 2001, Lionel prend un Rosario-Buenos Aires-Barcelone, sans billet retour. Le Barça lui fait signer un contrat à 4 000 euros par mois, trouve un emploi au père et paye un appartement en centre-ville pour la famille. Jorge est heureux : Messi va enfin pouvoir se mettre au boulot.

Et c’est peu dire qu’il travaille dur. « Pour mon père, ce n’est jamais assez, dit-il avec un demi-sourire. Quand j’étais petit, je mettais quatre buts et, malgré tout, il avait toujours une critique à me faire. Mon père ne m’a quasiment jamais dit : « Tu as bien joué. » » Ces premières années en blaugrana, Fabian Soldini les a souvent vécues depuis l’appartement des Messi, qu’il raconte comme un camp militaire : « Le père exerce quelque chose de psychologiquement très fort sur Leo. Parfois, Leo jouait normal, mettait un but. Mais il y avait une pression du père : « C’est pour être avec toi que je suis ici. Je ne vois pas ta soeur grandir parce que je suis ici avec toi et tu fais le con sur le terrain. » Une telle pression psychologique quand tu es petit, tu continues à la subir après. »

Vrai. Si Messi n’existe que sur un terrain, c’est aussi parce qu’il n’a jamais vraiment eu le droit à une vie en dehors. Pour lui, la famille est également une prison. Celia, la mère, lui fait à manger. Le grand-frère, Rodrigo, s’occupe de la sécurité, menace les sosies et invite Léo à dîner le soir. Jorge, lui, continue à construire son empire. Pour commencer, il élimine tous ceux qui l’ont aidé à le bâtir. Fabian Soldini ? Ejecté. Rodolfo Schinocca ? Congédié. Que dit Lionel de tout ça ? Rien, évidemment : il pionce. « Leo n’aime pas les conflits, analyse Soldini. Quand il y a un problème, il va dormir. »

Messi craquera-t-il un jour lui aussi ? Peu probable, à entendre Manel Exposito. L’attaquant a fait ses débuts dans le groupe pro du Barça le même jour que l’Argentin : « A Barcelone, quand tu joues au Barça, ça peut être compliqué. J’ai vu pas mal de mecs perdre la tête à cause de leur célébrité. Ronaldinho, par exemple, avait tout gagné ici. C’était un Dieu, mais il s’est fatigué du ballon. Cela n’arrivera pas à Messi. Il est trop sérieux et aime trop ce qu’il fait pour que ça le fatigue : le foot est la seule manière qu’il a d’être heureux, et surtout, c’est son seul moyen d’expression. »

Pas comme Ibrahimovic, rappelle Miguel Martinez, le sosie de Lionel : « Une fois, j’ai tourné une pub au centre d’entraînement du Barça et dès que Ibra m’a vu, il s’est retourné vers le vrai Messi : « Eh ! Je croyais que t’étais un modèle unique mais, non, regarde ce type ! » Bizarrement, il est parti de Barcelone l’année suivante. »

Qui est donc Lionel Messi ? Un type qui a peur de son sosie, pas de Zlatan.

PIERRE BOISSON, JAVIER PRIETO SANTOS ET LEO RUIZ/ SO FOOT

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