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À la recherche des nouveaux Tielemans & Dendoncker

Le moteur de Neerpede a des ratés. Depuis l’éclosion de Youri Tielemans et de Leander Dendoncker, les jeunes d’Anderlecht ne sont plus repris. Est-ce l’effet du hasard ou le mal est-il plus profond ?

Fin mai, Nicolas Raskin (16 ans) a provoqué une onde de choc à Neerpede par son transfert à Gand. Après Jeremie Luvovadio (Gand), Maxime Delanghe et Andy Koshi (PSV) et Evangelios Patoulidis (Standard), Raskin était le cinquième titulaire des U16 tant vantés à quitter le Sporting. Encore une chance que l’euphorie suscitée par le 34e titre national n’était pas complètement retombée. Tous ces jeunes avaient une bonne raison de s’en aller : Delanghe se disait charmé par le projet sportif, Raskin avait obtenu un contrat princier chez les Buffalos -y compris des avantages en nature pour son père- et Patoulidis avait obtenu du Standard la garantie de pouvoir s’entraîner avec les U21.

La saga Patoulidis est la preuve qu’Anderlecht ne plie plus devant les exigences financières de parents qui pensent que leur rejeton est le nouveau Kompany ou le nouveau Tielemans

Le cas Patoulidis est particulièrement symptomatique de la facilité avec laquelle les jeunes renvoient leur carte d’affiliation en échange de monnaie sonnante et trébuchante. En mars, il n’était pas encore question d’un transfert au Standard : malgré des offres d’Angleterre, le talentueux médian, qui n’avait connu qu’Anderlecht, voulait marcher sur les traces de Youri Tielemans. Deux mois plus tard, la famille opérait un curieux virage en direction des Rouches.

À Liège, on raconte que Patoulidis, avec son petit gabarit et ses jambes chétives, n’a rien à faire en U21. Le père du joueur, Charalambos Patoulidis, a la réputation d’être très têtu. Pendant un tournoi en Italie, Patoulidis a été remplacé dans le courant d’un match contre l’AC Milan. Il n’en avait pas touché une, son adversaire direct étant deux fois plus large que lui. À l’issue du match, le père est allé se plaindre à quelques collaborateurs du club.  » Comment l’entraîneur ose-t-il retirer son capitaine ! Il doit rester sur le terrain.  »

Un changement de politique

La saga Patoulidis est la preuve qu’Anderlecht ne plie plus devant les exigences financières de parents qui pensent que leur rejeton est le nouveau Kompany ou le nouveau Tielemans. Et tant pis si ça provoque un nouvel exode. Trésor Ndayishimiye, Daan Foulon et Milan Corryn, trois titulaires en U19 belges, n’ont pas accepté la nouvelle proposition de contrat des Mauves. Ils pourraient être les prochains partants. Anderlecht considère ça comme des dommages collatéraux.

 » Nous avons répété la même erreur pendant des années. Avant, quand Jean Kindermans, le directeur de l’école des jeunes, venait dans mon bureau pour un joueur, nous nous mettions à genoux pour le conserver « , explique Herman Van Holsbeeck.  » Nous ne le faisons plus. Nous composons un plan de carrière avec des incentives qui peuvent être activés au fur et à mesure. Nous devons continuer à investir dans l’académie, ne serait-ce que pour offrir un cadre parfait aux joueurs qui sont déjà exceptionnels à douze ans. Je pense à Adnan Januzaj, Anthony Vanden Borre, Charly Musonda… Les parents sont placés devant un choix. Anderlecht les traite correctement et assure un bon scénario à leur fils. Ou alors, ils obtiennent quelques milliers d’euros en plus ailleurs pour n’y être que des numéros.  »

Anderlecht a donc quitté la voie de la realpolitik. Il paraît que Kindermans n’est pas vraiment ravi par ce changement de cours draconien, qui inciterait les joueurs les plus talentueux à quitter Neerpede. Beaucoup de parents se demandent si leur fils obtiendra un contrat un jour. Le modèle de financement de Neerpede est donc sous pression alors que depuis des années, il est considéré comme un laboratoire de haute technologie, qui forme, teste et perfectionne les meilleurs prototypes destinés à la D1.

 » La période des Svilar, Musonda, Mangala, Antonnuci et autres Lokilo est révolue « , confie un manager qui connaît bien les jeunes d’Anderlecht.  » Van Holsbeeck y réfléchira à deux fois avant de proposer une augmentation à la famille. Anderlecht a pris quelques coups et je peux comprendre qu’il ne veuille plus investir trop dans des jeunes dont les parents ne respectent pas ce qui a été convenu. Le Club Bruges et Gand paieront encore le prix fort mais plus Anderlecht. Il est maintenant au niveau de Genk et du Standard.  »

Des jeunes toujours au top

Au RSCA, les avis sont partagés quant au calibre des prochaines levées. Certains pensent qu’il faudra gratter pour faire passer des joueurs en équipe première. D’autres affirment que les U21, les U19 et les U17 recèlent du matériel digne d’Anderlecht. Une chose est sûre : en termes de résultats, Anderlecht continue à émerger de la tête et des épaules. Il est faux de dire que le Club Bruges est le nouveau numéro un et que Gand le talonne. La saison passée, les U14, U15, U16, U17 et U21 d’Anderlecht ont été champions et la plupart des équipes sont encore en tête cette saison.

En profondeur, Anderlecht est digne de l’élite européenne. Ce n’est pas un hasard si Jean Kindermans est invité chaque semaine à exposer sa vision en Belgique comme à l’étranger. Le talent est une chose, apprendre à le façonner en est une autre.

Le président Roger Vanden Stock suit de près le travail effectué par Jean Kindermans à la tête de l'Ecole des Jeunes du RSCA.
Le président Roger Vanden Stock suit de près le travail effectué par Jean Kindermans à la tête de l’Ecole des Jeunes du RSCA.© photonews

Anderlecht mise sciemment sur cette orfèvrerie pour renforcer son aura en Europe.  » Ce n’est pas le championnat qui constitue la base mais le succès dans les tournois « , entend-on du côté de Neerpede.  » Le championnat sert à former, les tournois sont axés sur les performances. C’est la philosophie du club. On sent que les joueurs ont besoin de ces défis européens.  »

La prochaine étape, c’est la professionnalisation complète de la formation. L’embauche d’un nutritionniste, d’un psychologue, de préparateurs physiques supplémentaires et la collaboration avec l’Energy Lab sont un pas dans la bonne direction. Il n’est pas encore question d’entraîneurs spécifiques. La mesure la plus significative concerne le nouveau statut des délégués d’équipes, aménagé par le directeur opérationnel Jo Van Biesbroeck. Ceux-ci, qui, par le passé, recevaient une enveloppe pour acheter des boissons aux joueurs, jouissent à présent d’un statut fiscal.

Un gros chantier : la mentalité

Ces coaches aimeraient d’ailleurs que, dans un futur proche, le Sporting investisse tant et plus dans l’encadrement des jeunes. Pour le moment, seuls cinq coaches sont employés à temps plein : Stéphane Stassin, Oleg Iachtchouk, René Peeters, Mo Ouahbi et Emilio Ferrera.

Nul à Anderlecht ne le niera : l’éclosion des jeunes en Première est à l’arrêt. Cette saison, Kobe Cools et Albert Mboyo Sambi Lokonga, le frère cadet de Paul-José Mpoku, ont atteint le banc. That’s it. La diaspora africaine a toujours été bien représentée à Neerpede mais maintenant, Anderlecht cueille aussi de soi-disant talents en Pologne (Jakuw Kiwior), au Paraguay (Gianlucca Fatecha) et en Chine (Li Haoran). Des joueurs dont on ne sait trop s’ils feront un jour la jonction avec la Première mais qui constituent bel et bien des traites sur l’avenir.

Pour ce jeune talent étranger, l’exploitant de La Bella Vita, un restaurant italien situé à quelques encablures du complexe d’entraînement, a fait construire un immeuble qui abrite une dizaine d’entre eux. Coût par appartement : quelque 400 euros par mois. Un investissement judicieux ? Pour chaque Chancel Mbemba, Frank Acheampong ou Andy Najar qui arrive au bout du parcours, des dizaines de joueurs désillusionnés doivent rentrer au pays.

Anderlecht a la meilleure formation du pays. Jusqu’à ce qu’on se trouve à la porte de l’équipe A  » – Un parent de joueur

Le cliché selon lequel Anderlecht fournit des joueurs au gros cou se vérifie largement. Ils se comportent comme des stars. La mentalité, à cet effet, est le principal chantier. Il n’en reste pas moins que le club s’intéresse réellement aux jeunes. Le trio Collin-Van Holsbeeck-Vanden Stock assiste régulièrement aux matches à domicile et passe dire un mot au vestiaire à la mi-temps. Vanden Stock connaît généralement par coeur les résultats de toutes les équipes. C’est assez dire si la maison mauve suit de près son blé en herbe.

Cessez-le-feu entre Ferrera et Kindermans

La guéguerre ayant opposé Jean Kindermans et Emilio Ferrera a abouti à un cessez-le-feu. Non qu’ils s’attardent ensemble devant le percolateur le matin : il est impossible de faire passer deux personnalités aussi différentes par la même porte. Mais Herman Van Holsbeeck est parvenu à les faire travailler ensemble. Le manager d’Anderlecht attend de ses employés qu’ils tournent la page et acceptent la main tendue d’un rival.

 » Je peux comprendre qu’il y ait eu des frictions au début « , raconte Van Holsbeeck.  » Cependant, la direction ne s’intéresse qu’à une chose : le RSCA. Kindermans a accompli un travail fantastique avec l’académie ces dernières années mais il serait stupide de ne pas exploiter au mieux quelqu’un comme Ferrera, qui est sur le terrain de 9 heures à 20 heures. À l’époque, j’ai vu de mes propres yeux ce que valait Ferrera comme entraîneur. Ses séances et sa méthodologie sont top. Il peut améliorer de 30 % la formation des jeunes.  »

Van Holsbeeck avait tout intérêt à ce que le mariage de raison entre les deux rivaux réussisse. C’est à sa demande que Ferrera est venu. Les deux hommes se sont rencontrés au Lierse au début des années 2000. Van Holsbeeck était alors manager du club lierrois et Ferrera entraîneur. Un moment donné, leur relation a capoté et ils ne se sont plus parlé pendant plus de 14 ans. Jusqu’à ce que leurs femmes respectives, toutes deux enseignantes, deviennent amies. Depuis, c’est le grand amour entre Van Holsbeeck et Ferrera, même si, dans les couloirs, on se demande si Emilio s’inscrira dans la durée en raison de son comportement.

Ferrera ne s’est pas rendu très populaire en débarquant à Neerpede comme un bulldozer. Il a fait abattre des portes et des cloisons, monter des armoires supplémentaires mais ces travaux n’ont pas été suivis de résultats tangibles. À Anderlecht, beaucoup de gens supportent mal son caractère et son attitude. Certains le décrivent comme un professionnel qui a du mal à communiquer et à travailler en équipe. Les autres le considèrent comme un despote qui mène une politique de terreur et impose sa volonté. L’homme trace une route et n’en dévie pas. Quand il a voulu expliquer sa vision, à son arrivée, certains entraîneurs l’ont mal pris. Même s’ils ont aujourd’hui l’impression que, chemin faisant, Ferrera s’est déjà quelque peu amendé.

Quand il était superviseur, Ferrera avait placé la barre haut. Très haut, surtout pour des entraîneurs qui n’étaient employés qu’à temps partiel. Emilio attendait d’eux, par exemple, qu’ils fassent une analyse vidéo de chaque match à domicile. Ce n’était pas tout. Il entendait aussi que le terrain soit divisé en zones, à l’aide de rubans, et voulait introduire cette méthode à partir des U9. Ça prenait énormément de temps. Allez donc expliquer ça à la maison quand vous n’êtes pas coach à temps plein…

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