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 » Je préfère jouer aux échecs qu’au poker « 

Coups francs, corners, 4-4-2 : rien de tout ça dans un ping-pong verbal de 105 minutes avec le coach de l’Antwerp. Il parle de gilets jaunes, de réfugiés économiques, des camionnettes roumaines qu’on croise sur nos autoroutes, du Witselgate, de sa bande de salopards. Et évidemment de Stromae. Formidable.

On sait qu’avec Laszlo Bölöni, on peut parler de tout. Alors, on ne va pas se priver. Sujet 1 : la situation tendue dans deux de ses pays d’adoption. La France, où il séjourne la plupart du temps quand il ne bosse pas. Et la Belgique, où il entraîne et fait des miracles avec l’Antwerp.

Ça te passionne, la politique !

LASZLO BÖLÖNI : C’est vrai. J’ai pensé me lancer là-dedans. Mais j’ai quitté la Roumanie il y a longtemps, je suis venu en Belgique en 1987. J’aurais pu y retourner et faire de la politique, mais alors je devais renoncer à certaines choses. C’est difficile de naviguer sur deux bateaux.

Pourquoi tu aurais aimé travailler là-dedans ?

BÖLÖNI : Je crois sincèrement que je suis quelqu’un qui sait comprendre les problèmes et faire les meilleurs compromis. Tu apprends beaucoup de choses dans le football, par exemple à dribbler, à aller de gauche à droite. En politique aussi, il faut faire ça. Je connais très bien la France, j’ai une maison là-bas, dans le sud. Et c’est clair qu’en France, les hommes politiques n’ont pas une image extrêmement positive.

Les gilets jaunes, qu’est-ce qu’ils t’inspirent ?

BÖLÖNI : Euh… (Il réfléchit). Je dois faire attention à ce que je vais dire, pour ne pas que ça soit mal interprété. Parce que c’est sensible. Les fins de mois difficiles, quand il faut serrer, j’ai bien connu. J’ai été au chômage en France, et ma femme, qui a aussi fait des études supérieures, a travaillé comme simple vendeuse dans un magasin Leclerc. Les gilets jaunes, je ne vais pas dire que je suis comme eux, mais je connais un petit peu leur situation.

L’égalité, j’en ai entendu parler pendant trente ans en Roumanie ! La vraie égalité n’existe nulle part.  » Laszlo Bölöni

Avant que je commence à taper la balle, ma mère a élevé seule ses deux enfants parce que mon père est mort très tôt. J’ai connu la folie du communisme dans le bloc de l’Est. Devoir faire attention, je sais ce que c’est. Pour ces gens-là, il faut trouver des solutions. Mais les solutions, ça ne peut pas être des cadeaux. Tu ne veux pas renoncer à tes acquis sociaux, mais ils coûtent de plus en plus cher.

Aujourd’hui, être président de la République en France, ce n’est pas un cadeau. Je suis persuadé que n’importe quel président dans le monde essaie de trouver des bonnes solutions, mais ce n’est pas simple. Tout coûte cher, mais où est-ce qu’on peut trouver cet argent ? L’État doit financer les transports, les hôpitaux, l’armée, la sécurité sociale, … Ce sont plein d’éponges. Donner plus d’argent aux familles, c’est bien. Mais où le prendre ? On n’a pas la réponse. Alors, l’État augmente la taxe sur les carburants, par exemple…

 » On a besoin des riches  »

Ce qui choque le plus les Français, c’est qu’on ne taxe pas les riches. Alors que c’est là qu’il y a de l’argent à aller chercher.

BÖLÖNI : Aller chercher, oui… Voler, non… Les riches, ce sont ceux qui prennent les risques. Les patrons, les entreprises. Un pays ne va bien que s’il a des entreprises qui font travailler des gens. C’est comme ça en France, en Belgique, en Roumanie.

Tu trouves normal que les grands patrons gagnent autant d’argent ?

BÖLÖNI : Je trouve normal de gagner de l’argent quand on est à la tête d’une bonne entreprise. D’accord, il faut le partager, on pourrait faire ça un peu plus équitablement. Mais quand on commence à parler d’égalité… Cette égalité, j’en ai entendu parler pendant trente ans en Roumanie ! La vraie égalité n’existe nulle part. Même pas dans le communisme. J’ai vu un seul endroit où il y avait un vrai communisme, avec de l’égalité, c’était en Israël dans les kibboutz. Et même là, ça a disparu entre-temps. L’égalité, c’est extrêmement difficile. Pourquoi je devrais être égal à toi si tu as fait plus d’études, si tu as travaillé plus, si tu as pris plus de risques ? Je ne veux pas glisser vers la gauche, ni vers la droite, je suis pour le compromis, mais il est très difficile à trouver.

Donc, aller chercher de l’argent chez les riches, tu n’es pas d’accord ?

BÖLÖNI : Avoir des riches dans mon pays, ça ne me dérange pas du tout. Et n’oublie pas que la France est le pays du monde où on paie le plus d’impôts. Les Belges paient déjà beaucoup, mais les Français paient encore plus. On dit qu’il faut aller chercher chez les riches ? Mais je te répète que tu as besoin des riches.

 » J’ai des joueurs qui travaillent pour 2.000 ou 3.000 euros  »

En Belgique, on commence à remettre en question la taxation privilégiée pour les footballeurs. Tu trouves ça logique ?

BÖLÖNI : Je ne me suis pas penché sur le sujet, et puis tu me pousses vers des questions difficiles… (Il rigole). À partir du moment où tu gagnes beaucoup, tu dois payer beaucoup, c’est normal. Mais ce que je ne trouve pas normal, c’est que quand je travaille douze mois, je doive verser six mois aux impôts. Pareil pour les joueurs. Tout le monde n’est pas Ronaldo ou Messi. Viens dans mon vestiaire, il y a des gars qui travaillent pour 2.000 ou 3.000 euros. Il faut rester raisonnable. Je t’explique un exemple. Là où j’ai ma maison en France, depuis dix ans, le soir vers 21 heures, le camion des poubelles passe. C’est bien, c’est propre. Depuis dix ans, ce que je paie comme impôts a été multiplié par deux. Mais est-ce que les prestations des éboueurs ont été multipliées par deux ? Non. Le camion ne passe pas cinq fois par jour sous prétexte que les habitants paient plus de taxes. Ce que je veux dire, c’est que les prestations sociales n’ont pas augmenté avec les impôts.

Les Français ont leurs problèmes avec les taxes, les Belges se disputent sur l’immigration. Tu as dit récemment que tu étais pour les réfugiés politiques mais contre les réfugiés économiques. Tu peux expliquer ?

BÖLÖNI : Les gens qui fuient la guerre, je comprends, parce que c’est extrêmement difficile pour eux. Quand ils arrivent à la frontière, je trouve que c’est humain de leur donner un coup de main. Je parle de ceux qui quittent la guerre ! Pas les autres, qui viennent ici pour avoir une meilleure situation économique. Parce qu’alors, l’Afrique va venir ici, l’Asie aussi. Et qu’est-ce que vous ferez avec vos pauvres qui n’ont rien à manger ? Ceux qui veulent changer de pays pour avoir un meilleur avenir économique, qu’ils aillent en Asie, en Chine. Là-bas, il y a un gros développement économique, ils dominent le monde. Ou aux États-Unis. Ou en Arabie saoudite, ils sont voisins.

 » Je ne me suis pas mis à genoux pour venir en Belgique  »

Finalement, tu es dans ce moule… Tu avais aussi quitté la Roumanie pour avoir un meilleur avenir économique chez nous…

BÖLÖNI : Là, je t’arrête ! La Belgique m’a demandé de venir pour jouer au football ici. Je n’ai mis un fusil sur la tempe de personne, je ne me suis pas mis à genoux. J’avais gagné la Coupe d’Europe avec le Steaua Bucarest, j’ai été recruté par le Racing Jet. Tout de suite, j’ai payé des impôts en Belgique. Tout de suite, j’ai payé un loyer. Tout de suite, je me suis inscrit à l’université pour apprendre le français. Et puis, on est venus à trois, seulement à trois. Je suis aussi arrivé avec une certaine culture qui était assez proche de la culture belge. Tu ne peux pas comparer ce qui n’est pas comparable.

Laszlo Bölöni :
Laszlo Bölöni :  » Je suis persuadé qu’aucun entraîneur n’est aimé à 100%. « © BELGAIMAGE

Je te provoque…

BÖLÖNI : Je sais bien…

Dès qu’on monte sur une autoroute belge, on voit des camionnettes immatriculées en Roumanie. Il y a une vraie explosion dans l’arrivée de Roumains.

BÖLÖNI : C’est très intéressant, ce que tu dis là ! Je te signale que ces gens-là, ils travaillent dans le bâtiment. Ils sont où, les Belges ? Je ne veux pas vous vexer, et c’est la même chose en France, mais si tu veux trouver un plombier, c’est déjà difficile. Trouver un plombier belge ou français, c’est encore plus compliqué. Je me pose des questions. Est-ce que ce n’est pas votre politique d’assurance-chômage qui fait ça ? Je touche mon chômage, je travaille un peu en black, ça me convient très bien. Il y a peut-être des choses à revoir. Je ne dis pas qu’il faut diminuer ou supprimer les indemnités de chômage, mais les chômeurs qui refusent les boulots qu’on leur propose et qui se font entretenir par l’État de façon permanente… qui paie ça ? Toi et moi.

Quand je travaille douze mois, je dois verser six mois aux impôts, ce n’est pas normal.  » Laszlo Bölöni

 » Le conflit est toujours présent dans un vestiaire  »

Tu as une réputation d’entraîneur très dur, exigeant, qui ne lâche rien. Ce n’est pas nécessaire d’être aimé par ses joueurs ?

BÖLÖNI : Je suis persuadé qu’aucun entraîneur n’est aimé à 100 %. Tu as un vestiaire de 25 ou 30 joueurs, il y en a onze qui jouent, c’est normal. Quand on me demande s’il y a des problèmes dans mon vestiaire, je réponds toujours que tout va bien. Mais non, le conflit est toujours présent dans un vestiaire de footballeurs. On fait ce qu’on peut pour les résoudre à l’intérieur. Celui qui dit que tout est parfait, que les entraînements sont parfaits, que l’ambiance est parfaite… mon oeil. Regarde maintenant ce qui sort sur Cristiano Ronaldo et le Real. Il dit des choses sur le club qui prouvent qu’il y avait parfois des conflits. Et le club fait la même chose en parlant de lui. On se rend compte que ce n’était pas le grand amour tout le temps. Parce que le conflit est permanent, partout.

Avec l’âge et le vécu, les conflits te dérangent moins qu’avant ?

BÖLÖNI : Au début de ma carrière d’entraîneur, ça me posait un problème. Quand j’étais en froid avec un joueur et que je devais passer près de lui ou lui dire bonjour, je me demandais comment j’allais pouvoir éviter ça. Il m’est arrivé un truc terrible en tout début de carrière. J’avais un jeune défenseur super sympa. Un jour, il a eu un grave accident sur le terrain, sa cheville a été explosée. Il a été opéré, il a fait sa rééducation, il a énormément travaillé pour revenir, ça a duré des mois. Et qu’est-ce qu’il a souffert, mon dieu ! Une fois qu’il est revenu, l’équipe avait commencé à bien tourner sans lui et on luttait pour la montée. Je lui disais : Serre les dents, ne renonce pas, tu vas y arriver. Mais je doutais très fort de son retour.

Aujourd’hui, je suis franc. Parce que c’est mieux pour tout le monde. Il faut me convaincre, me donner confiance. Il y a une phrase de journalistes que je trouve terriblement injuste : Tel coach ne donne pas de confiance à tel joueur. Mais tu crois que la confiance, je la sors comme ça de ma poche ? C’est exactement l’inverse. Ce sont les joueurs qui doivent me donner de la confiance, me convaincre qu’ils méritent d’être sur le terrain.

On ne m’a rien donné quand j’étais joueur. J’avais un bon pied gauche, et pour le reste, j’étais tellement enthousiasmé par la réussite que j’étais capable de faire n’importe quel sacrifice. J’emmène automatiquement mes joueurs vers ce chemin. Quand le travail commence, je veux que tout le monde s’investisse. Et puis, en dehors du travail, je crois que je peux être quelqu’un de très intéressant… J’adore les bonnes blagues, les bonnes histoires, les discussions de bonne qualité, la provocation et la bonne musique. Stromae… Ah Stromae… Putain c’est extraordinaire ce garçon ! C’est Christophe Dessy qui me l’a fait découvrir. Alors on danse. Papaoutai. Formidable. Il est vraiment extraordinaire.

 » Je provoque des arbitres pour leur montrer que l’Antwerp existe  »

Tu as séduit avec le Standard, c’était beau à voir, tu peux refaire le coup avec l’Antwerp ? Marc Degryse nous a dit que l’Antwerp était la saison dernière une équipe qui empêchait surtout l’adversaire de jouer, et maintenant une équipe qui imposait son propre jeu. Tu es d’accord ?

BÖLÖNI : On a fait un pas vers l’avant. Mais pour être totalement d’accord avec Marc Degryse, j’aimerais bien avoir encore un peu plus de savoir-faire dans toutes les lignes. Tu peux te permettre de séduire quand tu as les joueurs pour le faire. Ça n’empêche que, dans ma philosophie, je n’aime pas les surprises. Même les bonnes, je n’aime pas. Je les accepte beaucoup plus facilement que les mauvaises mais je n’aime pas… Je préfère être organisé, avoir un équilibre qui fait que c’est moi qui domine. Je ne suis pas un joueur de poker, je suis plutôt un joueur d’échecs. Séduire, ok, quand je peux. Si on mène 4-0, ok, on séduit, bravo. En même temps, j’apprécie énormément une victoire 1-0 avec la hargne.

La qualification pour les play-offs, c’est déjà dans la poche, non ?

BÖLÖNI : J’ai encore des doutes. Parce que, pour arriver où on est aujourd’hui, tout le monde est au-dessus de 100 % de son rendement potentiel : les joueurs, le staff, la direction. Et ça, je peux te dire que c’est épuisant. Notre position est extrêmement fragile.

Autant tu es calme et zen dans la vie, autant tu peux péter les plombs au bord du terrain…

BÖLÖNI : C’est réfléchi. À certains moments, j’ai envie d’attirer l’attention des arbitres, de leur montrer que l’Antwerp existe. Il y a de la provocation là-dedans. Je ne regrette pas ces moments-là. La seule chose que je regrette, ce sont les moments où je dépasse un peu la limite…

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 » Je suis impatient de retrouver une bande de salopards à l’Antwerp  »

Tu as dû gérer Axel Witsel après l’accident avec Marcin Wasilewski. Ça a été difficile ?

LASZLO BÖLÖNI : Très difficile, surtout pour Witsel.

Et aussi pour Wasilewski, quand même…

BÖLÖNI : Bien sûr. Il avait le profil du joueur que je détestais. Quand je déteste un joueur d’une équipe adverse, c’est parce qu’il m’emmerde avec ses qualités ! Aujourd’hui, quand on joue contre Genk et Ruslan Malinovskyi, je me dis : Putain, qu’est-ce que je le déteste, lui. C’était exactement la même chose avec Wasilewski. Et lui, c’est parce qu’il était agressif. Tu as parfois besoin de joueurs comme ça dans ton équipe, mais s’il y en a un qui méritait de recevoir une baffe, c’était Wasilewski. Il taclait tout le monde, il marchait sur des cadavres. En plus, il était à Anderlecht. Il croyait qu’il pouvait tout se permettre. C’était le joueur qui pouvait dire : Je suis le défenseur qui a tapé tous les attaquants du championnat de Belgique. Il avait l’habitude que tout le monde se retirait. Ce jour-là, il a trouvé en face de lui quelqu’un qui ne s’est pas retiré.

À l’époque, il y avait une ambiance de guerre entre les deux clubs, Anderlecht ne digérait pas que le Standard soit devenu champion deux fois d’affilée. Est-ce qu’on n’était pas allé trop loin dans l’escalade ?

BÖLÖNI : La tension, ça existe. On choisit de l’entretenir ou pas. Nous aussi, on a joué à ça. Moi aussi, personnellement. J’ai prononcé une phrase que j’ai hâte de réutiliser ici avec l’Antwerp, j’ai parlé de ma bande de salopards. Les journaux me l’ont reproché. Je disais ça dans le bon sens du terme. Oguchi Onyewu était un salopard, Dante aussi, Milan Jovanovic pareil. Steven Defour, salopard. Axel Witsel, salopard. Mohamed Sarr, un vrai salopard. Igor de Camargo pouvait mettre un petit coup de temps en temps, discrètement, l’adversaire ne savait pas d’où ça venait. Si je peux retrouver le même état d’esprit ici, lisez des salopards dans le bon sens du terme, je signe. Mais je ne le sens pas encore.

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 » Tacler le Standard ? Jamais  »

Ton plus beau moment de la saison, c’est la victoire au Standard ?

LASZLO BÖLÖNI : C’était très spécial, ça c’est sûr. Aussi parce que c’était la première victoire de l’Antwerp contre un grand depuis le retour en D1.

Depuis la remontée, tu es passé deux fois à La Tribune. La première fois, tu as taclé Ricardo Sa Pinto. La deuxième, tu as taclé la direction du Standard.

BÖLÖNI : Tu appelles ça tacler ? Non… Et je ne vais jamais tacler le Standard. Pour moi, c’est un club merveilleux, j’y ai passé des moments que je ne vais jamais oublier, j’ai adoré les joueurs, le public, la ville. Et je crois que le respect est réciproque. Après, quand il y a des choses qui me dérangent, je peux me permettre de faire comprendre que ça me dérange… Si j’ai piqué Sa Pinto, c’est parce qu’il le méritait. Et avec la direction, c’est exactement la même chose. J’ai entendu des avis à propos de moi que je n’ai pas appréciés.

Que ce soit clair : je n’ai pas essayé de retourner au Standard avant qu’ils signent Sa Pinto. Il y a sans doute des agents qui ont essayé de me caser là-bas mais je n’avais donné aucun mandat à aucun agent pour me représenter au Standard. Je ne retire rien de ce que j’ai dit à la télé. J’ai dépassé le stade de ma vie où je devais toujours me retenir. Aujourd’hui, quand j’ai envie de dire quelque chose, je le dis. Pendant trente ans, en Roumanie, j’ai été obligé de mentir, comme tout le monde. Je ne veux plus.

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