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Le Ménilmontant FC 1871, un club par et pour le peuple

Lutte contre l’homophobie, le racisme, les violences policières, soutien aux sans-papiers, aux réfugiés, mais aussi aux gilets jaunes, tels sont les combats du MFC, qui se présente comme un club  » autogéré « . Un idéal mis en pratique par et pour le peuple.

« L’Île de France est une carotte, parce qu’il n’y a pas la mer », dit Flynt, rappeur parisien, avant d’éclairer sa ville, capitale de tous les possibles, d’un album classique. Cette fois, dans le clip, pas de carotte. Une musique électro, presque oppressante, du ballon, des flics, des fugitifs et des fumigènes. DJ Pone prend les commandes pour un morceau intitulé « M.F.C. »

Le musicien français, qui a collaboré avec les groupes hip-hop Triptik, TTC ou la Scred Connexion, aussi membre de Birdy Nam Nam, rend hommage à un club, qui se présente comme « autogéré ». Le Ménilmontant FC 1871. « Les scènes de cortège, notamment, ont été plus faciles à tourner puisqu’on en fait de temps en temps. C’est un univers dans lequel on baigne », raconte Pikloo, milieu défensif, acteur principal du clip, à So Foot.

Sur le logo, des vagues, des canons, un bateau pirate qui arbore deux voiles, une noire et une rouge. Des couleurs politiques qui ne trompent pas, celles des « antifas », soit des antifascistes. La date référence ? 1871, celle de la Commune de Paris. Cette année-là, la capitale française connaît l’insurrection. Lancée contre le gouvernement en place, elle débouche sur un pouvoir citoyen, communiste, par le peuple et pour les travailleurs, pendant deux gros mois.

Le Ménilmontant FC 1871, un club par et pour le peuple
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Sur son maillot, le club francilien reprend l’idée sobrement. Du noir, deux fines bandes rouge et blanc, pas de marque. Au dos, juste un numéro, en rouge lui aussi, et un surnom qui doit bien rester gravé : « Ménil FC ».

Love football, hate racism

L’acte de naissance est clair. Non seulement le Ménilmontant Football Club 1871 se définit par son autogestion, mais il évoque également d’entrée son objectif premier, celui de « réunir des individus partageant les mêmes valeurs du football comme la solidarité et la collectivité ».

« Le MFC se place en opposition aux réalités actuelles du football moderne telles que l’omniprésence de l’argent, l’hyper-sécurisation des stades ou la répression des supporters » », explique le texte fondateur, publié sur un blog, le 26 août 2014. « Au-delà de notre amour pour ce sport, nous sommes des femmes et des hommes, unies par le rejet de toutes les discriminations basées sur le genre, l’origine sociale, la religion ou encore l’orientation sexuelle. »

Avec « Love football, hate racism » comme slogan annoncé, le MFC 1871 se veut ouvert à tous et à toutes. Peu importe le niveau de jeu. « On essaye de dépasser le football », explique Hadrien, pilier de l’entité parisienne, dans les colonnes du Monde. Cet ancien de l’Action antifasciste Paris-banlieue (AFA) parle d’un « modèle alternatif », mais aussi d’une « contre-culture ». Dans le football, une autre voie est possible et le MFC compte bien le prouver.

« C’est LE sport populaire. Il y a des gens en tribunes avec nous qu’on n’avait jamais vus dans le milieu militant avant. Je ne pense pas qu’ils sont là parce qu’ils sont dégoûtés de la politique, mais disons qu’ils ne sont pas attirés par les manifestations et les mouvements sociaux », raconte François, autre taulier du MFC, dans Basta Mag.

Refugees welcome

En vrai, l’idée est assez simple. Il ne s’agit pas forcément de gagner les trois points, ni de réfléchir « match après match », plutôt de conscientiser des gens qui ne s’intéressent, de base, qu’au ballon. « C’était une idée collective. On était une bonne bande de footeux et on sentait qu’il y avait un potentiel car un tel club n’existait pas. On en avait marre du militantisme classique, c’était toujours la même chose, toujours les mêmes personnes. On voulait agréger des gens qui n’étaient pas militants », rembobine encore Hadrien.

Mais alors pourquoi rejoindre un championnat classique, quand des ligues parallèles existent ou sont envisageables ? « Dès le départ, nous avons fait le choix d’évoluer dans le championnat officiel, avec ses contraintes », répond Julie, à la base du projet, sur le site de Vice.

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Il s’agit surtout de « toucher le plus de personnes » pour les sensibiliser aux différentes causes mises en avant. Dès la création, le MFC 1871 voit un noyau de supporters se former autour de lui. Une effervescence inattendue de la part de sympathisants qui refusent de s’appeler « ultras », modestes. Chaque week-end, ils sont prêts d’une cinquantaine, au moins, à faire les déplacements. Quand ils ne chantent pas, en italien dans le texte – « Siamo tutti antifascisti » – ils revendiquent. Avec des banderoles « Refugees welcome », des soutiens aux Amérindiens ou à la Palestine.

Julie : « Au-delà de l’antiracisme déjà véhiculé dans le sport, nous avions à coeur de partager des principes antisexistes, anti-homophobes et contre toutes les discriminations présentes dans le monde du foot ».

Ni dieu ni maître

Dans les faits, le club évolue donc en autogestion. C’est-à-dire que tous les membres, joueurs ou supporters, ont le même « pouvoir de décision ». Une approche qui n’est pas sans rappeler celle de la Démocratie corinthiane, avec la légende Socrates en porte-parole. Les joueurs des Corinthians, à Sao Paulo, luttaient alors contre la dictature militaire qui sévissait au Brésil.

« Toutes les décisions sont votées en assemblée ouverte à tous », poursuit Julie, toujours pour Vice. « Chaque voix a la même valeur, quelle que soit votre position dans le club. C’est un moyen de faire participer le plus de monde tout en avançant ensemble. » « Ménil », véritable écho du slogan anarchiste « Ni dieu, ni maître », doit quand même nommer un capitaine et un président afin de remplir les cases des statuts officiels.

Une entorse bénigne pour la cause, qui compte une trentaine de licenciés et une centaine d’adhérents. Ces derniers constituent l’une des seules ressources du MFC 1871, bien évidemment « autofinancé ». Le budget annuel, évalué à 4.000 euros par an, est le fruit de cotisations fixées à 10 euros par mois, mais qui ne sont pas nécessairement obligatoires pour les membres qui n’ont pas les moyens.

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La vente de merchandising ainsi que les recettes récoltées lors des événements permettent également de renflouer les caisses. Lors de ses deux premières saisons, le MFC, qui refuse au passage toute subvention, cette émanation étatique, pousse même l’autogestion jusqu’à ne pas avoir d’entraîneur. Les joueurs votaient alors pour composer l’équipe, mais le système a ses limites.

Ménilmontant, un choix pas anodin

Akye, également patron du label de rap BBoyKonsian, enfile la casquette du premier coach de l’histoire de ce club alternatif. Dans la foulée de son intronisation, en 2016, il insiste « pour continuer de prendre les décisions collectivement ». « L’avantage de l’autogestion, c’est que les joueurs étaient déjà très solidaires et complices », explique Akye, dans Vice. « Il a fallu prendre des décisions parfois difficiles, mais jamais de façon autoritaire. »

Le MFC évolue désormais en troisième division de district, celui de Seine-Saint-Denis, soit l’équivalent du treizième échelon français. Loin, très loin, des fastes du PSG. Le choix de Ménilmontant, quartier parisien situé dans le 20e arrondissement, n’est pas anodin. Voilà un lieu où « depuis plus de dix ans, le milieu antifa se retrouve. On a une identité populaire, antifasciste, contre le football moderne », abonde Flavien au Monde.

Taulier de Ménil, Flavien débarque dans le coin après le Plan Leproux, qui « sécurise » par la manière forte le Parc des Princes, antre du PSG, en 2010. « J’étais un ultra d’Auteuil. Après la répression, j’ai suivi ma démarche politique et sociale et je me suis retrouvé dans le projet du MFC. »

L’acte de naissance parle de « l’un des derniers quartiers populaires et multiculturels de Paris, malgré les tentatives de gentrification de la mairie bourgeoise ». C’est là que la « contre-culture » de « Ménil » doit prendre sa source, récupérer ses codes vestimentaires et musicaux, ses quartiers généraux.

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Parmi les QG, le Saint-Sauveur, bar névralgique de la gauche extraparlementaire au sein de la capitale hexagonale. L’ancrage rappelle aussi celui de Sankt Pauli à Hambourg, voire celui du Red Star, basé à Saint-Ouen, en banlieue parisienne, presque « concurrent » en la matière.

Ni oubli ni pardon

Seul hic, pour le moment, le MFC reste sans stade fixe. Du moins pas à Ménilmontant, puisque les joueurs des Noir et Rouge foulent une semaine sur deux la pelouse du Stade La Motte, à Bobigny, à une petite dizaine de kilomètres au nord de leur quartier fétiche. Pour l’instant, le seul objectif concret se situe là : avoir un stade digne de ce nom, prêt à devenir l’épicentre de la convergence des luttes.

« On s’appelle le Ménilmontant FC, parce que c’est un quartier symbolique dans l’histoire des luttes. Mais en vérité, on est presque tous banlieusards. La plupart des joueurs viennent de la banlieue nord. On pourrait tout aussi bien s’appeler le FC Bobigny », explique Skalpel, rappeur d’Aulnay-sous-Bois, auteur de la « bande originale » du MFC, avec Akye pour DJ, sur le site de So Foot.

Mais la délocalisation n’empêche pas d’agir. Le Ménil FC organise régulièrement des rencontres amicales contre des migrants, des collectes de vêtements au bénéfice de réfugiés, des diffusions de films, quand ses membres ne se mobilisent pas pour soutenir, au tribunal, ses joueurs sans-papiers. L’été dernier, le MFC participe à l’hommage rendu à Clément Méric, militant « antifa » tué en 2013 lors d’une rixe avec des groupuscules d’extrême droite.

À l’époque, les banderoles « Ni oubli, ni pardon » s’affichent un peu partout. La même année, un match est organisé pour honorer la mémoire d’Adama Traoré, décédé le 19 juillet 2016, au commissariat de Persan, dans le Val d’Oise, des suites d’une bavure policière.

Logique, le MFC 1871 prête actuellement ses forces au mouvement des gilets jaunes « antiracistes » et invite ses « suiveurs » à les rejoindre. Sur la page Facebook qui les réunit, ils sont près de 7.000, ce qui place les gars de Ménilmontant dans le top 10 des clubs franciliens, aux côtés du PSG, du Red Star, du Paris FC ou de Créteil-Lusitanos. Sans pression.

« Si nos valeurs nous empêchent de nous élever dans la compétition, je préfère rester à un bas niveau », assure Samy, autre élément du projet, un temps capitaine et président à la fois, à Vice. « Dans le cas contraire, nous n’avons pas de problème à enfreindre des lois qui nous paraissent incohérentes. »

Vers un football populaire

Partout, en Europe ou dans le monde, des modèles alternatifs tels que celui du Ménilmontant FC fleurissent. Le besoin de s’impliquer, le ras-le-bol général de tout ce que génère le football moderne en l’état actuel des choses, corruption comprise, peut expliquer ce phénomène.

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En Angleterre, par exemple, le Clapton CFC, pour « Community Football Club », est également autogéré. À la fin de l’été dernier, l’entité londonienne, qui évolue dans les bas-fonds du foot britannique mais que ses membres et fans détiennent à 100%, fait le buzz avec son maillot.

Produit par la marque italienne Rage Sport, qui assure ne pas chercher le profit, l’objet, coloré d’une mosaïque rouge et jaune, commémore l’anniversaire de la fin de la guerre civile espagnole.

Si Sankt Pauli, qui évolue dans l’antichambre de la Bundesliga allemande, joue les rôles de précurseurs et d’étendard en matière d’antifascisme, force est de constater que bon nombre de ces clubs, fondés par et pour le peuple, voient le jour en Italie.

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L’Afro-Napoli United accueille tout le monde, afin de représenter au mieux un Naples éminemment multiculturel, et le Centro Storico Lebowski, repris par des tifosi de la Fiorentina, fonctionne sur un modèle similaire à celui du MFC, tout en rendant hommage au Big Lebowski, personnage culte du film éponyme.

« L’Italie est vraiment précurseur sur ce terrain-là », pose Margot, autre membre du MFC 1871, pour le site Lundimatin. « Cependant, le football populaire ne se limite pas à l’Italie et il se développe de plus en plus dans tous les pays d’Europe. […]

En Grèce, il existe une véritable ligue de football pour les clubs de football populaire. On espère pouvoir se rapprocher de l’histoire de ces clubs à long terme, même si le chemin est long. On ne parle pas de modèles, mais on est admiratifs des réussites de certains clubs de football populaire. Ils ont créé une véritable alternative au football moderne et ont réussi à créer de véritables projets ancrés sur un plan local, social et culturel. »

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